mercredi 24 mars 2010

ALAIN DE SERIGNY - L'ECHO D'ALGER -

Comte Alain Le Moyne de Sérigny.  Né à Nantes en 1912, ce pied-noir d'adoption est venu, dès l'âge de trois ans, habiter ce pays pour lequel, comme tant d'autres, il s'est pris de passion. Il l'a réellement "dans la peau," J'aime cette terre comme la mienne, dira-t-il. Et aussi cette population, qui mérite l'Oscar du patriotisme et à qui on inflige un martyre incessant. ".
Il devient le beau-frère de Jean Duroux, le fils du grand minotier d'Alger ("la farine ", comme on dit "le vin " pour Borgeaud, "l'alfa " pour Blachette).
Duroux lui offre la direction de son journal, une feuille de chou à l'époque, qui ne tire qu'à 20 000 exemplaires, sur une page recto-verso. " Un cuirassé à marée basse... " C'est ainsi que le minotier appelle L'Écho d'Alger lorsqu'il le lui confie. Sérigny en fera très vite le premier quotidien d'Algérie, sinon par le tirage (L'Echo d'Oran, de Pierre Laffont, le dépasse à cet égard), du moins par l'influence.
" Je compris qu'un journal est une chose qui peut faire beaucoup de bien ou beaucoup de mal ", dira Sérigny.
Il va s'en servir pour faire le bien ou du moins le bien des Européens d'Algérie.
mise en page, choix judicieux des informations, bonne présentation. Grand travailleur, mettant à tout ce qu'il fait une passion débordante, Sérigny reste souvent au marbre jusqu'à 2 heures du matin. Ce qui ne l'empêche pas de se retrouver derrière son bureau directorial à 8 heures. Rarement, il trouve le temps de venir se reposer dans son château de Chaimaison, en Seine et Marne. Et lorsqu'il traverse la Méditerranée, c'est plutôt dans les salons de l'hôtel Scribe qu'on le rencontre, méditatif et toujours agité.

Grand, mince, chauve, les lèvres pincées, le nez chaussé de lunettes d'écaille, cet aristocrate, volontiers hautain, dissimule, derrière un abord sévère, une sensibilité exacerbée. C'est un écorché vif. A l'Echo, on redoute les colères de cet homme irascible qu'affectent d'horribles douleurs nerveuses et que guette l'ulcère à l'estomac.
En 1948, Alain de Sérigny est élu à l'assemblée algérienne, sous l'étiquette du R.P.F. Mais rapidement, dira t il, il a compris que "cette assemblée n'était autre qu'un filet destiné à camoufler ce que l'état ne pouvait faire ".
Bourgès Maunoury le nomme, en 1956, auditeur à l'Institut des hautes études de défense nationale. Puis Robert Lacoste se souvient qu'en 1942 le directeur de l'Echo s'est lié d'amitié avec Robert Murphy, qui préparait alors pour le compte des Alliés le débarquement en Afrique du Nord. Il l'envoie aux Etats-Unis pour informer les Américains de la situation en Algérie. Là bas, le journaliste verra toutes les autorités du State Department.
" Les rebelles, dit il, sont les hommes de choc d'un attaquant lointain. " Il voit dans les mots d'ordre d'indépendance qui courent d'un bout à l'autre du Maghreb le résultat d'une coalition arabo asiatique. Celle ci ne peut manquer de déboucher sur la satellisation de l'Afrique du Nord à l'U.R.S.S".
Condamné à mort par le F.L.N., provisoirement allié de Borgeaud, Alain de Sérigny est l'élément catalyseur de toute la rogne, de toute la grogne, et bientôt de tout l'espoir des pieds-noirs.

Brillant journaliste, c'est aussi un bel orateur. Il sait convaincre et il s'y emploie. Représentant du lobby algérois, il ne cesse de se démener avec un beau dynamisme : interviews, télégrammes aux députés, coups de téléphone et visites aux ministres, messages directs ou indirects à René Coty. Il sait utiliser chaque mode de pression avec efficacité. Et tout ce que la politique compte de personnages importants s'entretient avec le directeur de L'Echo d'Alger. Car qui, mieux que lui, connaît la température, heure par heure, minute par minute, de l'Algérie ? Son avis, son accord sont indispensables lorsqu'il s'agit d'entreprendre quelque chose.D'abord opposé à Jacques Soustelle, Alain de Sérigny a " basculé"  comme beaucoup d'autres, au lendemain des massacres de Philippeville. Lui qui, peu de temps auparavant, prenait position pour le maintien du double collège, il a compris qu'au " mythe " de l'indépendance on ne pouvait opposer désormais que l'intégration. C'est-à-dire la fin de toute discrimination entre les musulmans d'Algérie et les Français de souche ou les métropolitains. Et il s'y résout. Oh ! pas de gaieté de cœur... Mais il sait bien que l'armée, dont tout dépend en définitive, si elle est attachée à la permanence de la présence française, n'est nullement favorable au maintien des privilèges de la minorité européenne.

A l'âge de dix-neuf ans, il entre à la Compagnie Générale Transatlantique. Il en dirige l'agence d'Alger jusqu'en 1939... La guerre... La captivité en Silésie... Le retour en Algérie... La démobilisation avec le grade de commandant de réserve... Et commence, en 1941, pour Alain de Sérigny, une carrière qui en fera le civil le plus influent d'Algérie.Très vite, il imprime au quotidien sa marque personnelle.  Apprenant de la bouche de Gorlin qu'il n'y a plus rien à attendre de Lacoste, le directeur de L'Echo d'Alger, amer, furieux, lance à l'attaché de presse : " Dites au ministre que, maintenant, j'ai compris la valeur de ses engagements. "

Le 9 mai 1958, Robert Lacoste, qui a vu s'accentuer l'hostilité des socialistes envers leur ministre de l'Algérie et qui ne sait pas très bien quelle conduite tenir, reçoit donc Alain de Sérigny au palais d'Eté. Le directeur de l'Echo d'Alger développe ses arguments :
- Monsieur le ministre, lui dit-il, vous m'avez souvent fait part de votre étonnement devant le silence du général dans la situation actuelle. Selon vos affirmations antérieures, il est le seul capable de montrer assez d'autorité"
J'étais d'autant plus rempli d'amertume devant la subite volte-face de Lacoste, écrira plus tard Alain de Sérigny, que ce dernier ne se gênait pas pour dire à qui voulait l'entendre qu'avec un gouvernement fifrelin, l'Algérie courait à sa perte... Comment expliquer, sinon par une fidélité aveugle à son parti politique, qu'un homme de cette trempe se dérobât comme il venait de le faire, en une heure aussi cruciale et décisive ? ".
Le 10 mai 1958 au matin, Sérigny prend l'avion pour Paris en compagnie de Léon Delbecque : " Puisque Lacoste se dégonfle, déclare t il à son compagnon, je vais moi-même lancer un appel au général de Gaulle. Nous allons soumettre cette idée à Soustelle et, s'il est d'accord, je n'hésite pas... " Dès leur arrivée à Paris, les deux hommes se rendent chez l'ancien gouverneur de l'Algérie. Sérigny lui fait une relation détaillée de sa tentative infructueuse auprès de Lacoste. Il lui dit sa déception et lui annonce son intention de s'adresser lui-même à de Gaulle :
" Mais c'est une excellente idée lui répond Jacques Soustelle. Rendez-vous est pris pour le soir même. Ils étudient le texte de l'article Et, à 21 heures, le "papier " est déjà sur les fils à destination d'Alger.
Il paraît le lendemain dans Dimanche matin, supplément hebdomadaire de l'Echo d'Alger, sous le titre "parlez mais parlez vite, mon général... "
Cet appel à de Gaulle fait l'effet d'une bombe. Pensez donc, le pétainiste qu'est le comte Alain de Sérigny se ralliant l'homme de Colombey... En préambule de son article, le directeur de l'Echo d'Alger évoque d'ailleurs l'attachement qu'il a voué au chef du gouvernement de Vichy et sa fidélité à ce qu'il représentait.
" En Algérie, ce n'est un secret pour personne, écrit-il, que l'Echo d'Alger dont j'assume la direction depuis 1941 a pris, dès cette époque, une position très nette en faveur de la politique suivie en Afrique du Nord par le maréchal Pétain et conduite par un chef prestigieux le général Weygand.
" Cette position très ferme, malgré les fortes pressions et les menaces précises dont j'ai été l'objet par la suite, je ne l'ai jamais reniée, même lorsqu'en 1944 à Alger, certains membres de votre entourage (M. André Philip, notamment voulaient me faire payer le prix de cette attitude par la dévolution de l'Echo d'Alger au profit de telle ou telle fraction du tripartisme qui venait de prendre son essor à l'Assemblée consultative d'Alger.
A cette époque, aux yeux de maints "gaullistes ", j'étais, en somme, un des hommes à abattre, l'affreux vichyssois... "
Puis il en vient aux raisons qui l'amènent à se tourner vers de Gaulle :
" Aujourd'hui, mon général, la situation de l'Algérie et, partant, de la France, est positivement dramatique. Ce n'est pas le plan militaire qui nous inquiète, c'est ce qu'on appelle communément le "front intérieur " qui nous angoisse.
" Ces jours ci, M. Robert Lacoste, en personne, après avoir dressé un tableau très satisfaisant de l'évolution de la situation militaire, n'a pas hésité publiquement à faire-part de ses craintes d'un " Dien Bien Phu diplomatique " ! ...
" Pendant ce temps, les Soviets et nos bons amis anglo saxons, en vertu d'un principe nouveau du droit des peuples à disposer des autres, se livrent entre eux à une concurrence dont " notre aimée et souffrante Algérie " est l'enjeu, dans le dessein évident de s'emparer des richesses pétrolières sahariennes, ces richesses qui sont le gage de l'indépendance (la vraie, celle là) de la France et de l'Europe de demain. " Tandis que nos admirables soldats livrent un combat qui force l'admiration de la grande famille française, étreinte par une angoisse légitime à l'idée que leurs sacrifices, une fois encore pourraient être consentis en vain, l'Assemblée nationale, coupée du pays, vivant exclusivement dans son petit monde à elle, continue de donner au pays et à l'étranger le spectacle le plus avilissant de notre histoire. " Et c'est "l'appel " proprement dit " A cor et à cri, l'Algérie tout entière, privée de sa représentation légale à l'Assemblée nationale, supplie en vain le Parlement de faire taire ses querelles intestines pour la formation d'un gouvernement de salut public, seul capable de sauver du désastre dix millions de Français qui, aux yeux de certains, commettent sans doute un crime en voulant rester français.

" Dans leur détresse, vers qui se tourneraient ces Français sinon vers l'homme qui s'est tenu rigoureusement à l'écart de ces luttes misérables et qui incarne l'attachement passionné à la seule cause de la patrie ? "
" Je n'ignore pas, mon général, qu'à plusieurs de vos amis qui s'étonnaient de votre silence vous avez répondu fort à propos : " A quoi bon parler si l'on " ne peut pas agir " ? "
Aujourd'hui, me tournant vers vous, je m'écrie : Je vous en conjure, parlez, parlez vite, mon général, vos paroles seront une action. "
Ce dimanche matin 11 mai 1958, le journal brûle les doigts aux Algérois. A l'heure de l'anisette, dans les cafés élégants de la rue Michelet comme dans les petits bars de Bab-el-Oued, c'est la même interrogation entre amis : " Tu l'as lu, dis, l'article? "
Le retentissement est considérable. Alger n'a jamais compté beaucoup de gaullistes. Au contraire, "l'Homme dit 18 Juin"" est pour beaucoup, ici, celui qui n'a pas craint de faire un bout de chemin avec les communistes, celui qui s'entoure d'hommes aux idées dites " progressistes ". Un mot qui, aujourd'hui, pour la plupart des pieds-noirs, est synonyme de défaitisme. Un mot qui implique l'abandon, la trahison.
Un instant déconcertée, désorientée, l'opinion algéroise prend, elle aussi, le tournant. Alain de Sérigny et son journal ne sont ils pas le " phare " qui guide, le support des mots d'ordre et de l'action à suivre ? Et tout de suite, derrière le nouveau " gaulliste ", c'est le ralliement général y compris celui de la fraction la plus conservatrice d'Alger à l'homme dont on veut croire qu'il saura maintenir l'Algérie française.
Les activistes et les ultras d'Alger rejoignent les rangs des gaullistes qui, dans l'ombre, préparent le retour au pouvoir du général de Gaulle... Le mélange détonant est prêt. Il ne reste plus alors qu'à allumer la mèche.camionnette de livraison de l'Écho d'Alger à la maison de la presse située face à lagrande Poste d'Alger.Sur le balcon de son appartement algérois avenue Foureau-Lamy, non loin du palais d'Été,Alain se Sérigny, à l'époque ou il avait fait de son journal un cuirassé de haute mer, dans la tempête algérienne, portant haut le pavillon de "l'Algérie française".



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