vendredi 19 février 2010

LA MUSIQUE JUDEO-ARABE

LILI LABASSI ET MAURICE EL MEDIONI
DANS LES ÉLÉGANTS festivals de musiques du monde, les Français ont redécouvert, dans les années 80, les sortilèges curieux d'une musique que l'on définit forcément avec un trait d'union : judéo-arabe, franco-arabe, judéo-algérienne, judéo-andalouse... Là, Reinette l'Oranaise ou Blond Blond ont fait entendre leurs dernières notes avant de disparaître, Lili Boniche a connu un retour incroyable après des décennies de retraite. Et aujourd'hui les derniers acteurs de cette incroyable culture portent témoignage d'un temps où quelques-uns des plus grands musiciens algériens étaient juifs, mêlaient l'arabe, le français et même l'espagnol, dans des répertoires puisant dans les racines maghrébines comme dans les modes françaises du moment.
L'histoire de toutes ces vedettes de l'Algérie des années 50 est le thème du film de Michèle Mira Pons, Alger Oran Paris, les années music-hall, qui vient de sortir en DVD (chez Nocturne).

Mais cette aventure se poursuit avec l'incroyable album Descarga Oriental (chez Piranha), que Maurice El Médioni est allé enregistrer à New York avec des musiciens cubains. Accompagné par un groupe dirigé par le percussionniste Roberto Rodriguez, il emmêle figures orientales et latines, rythmes maghrébins et cubains avec le naturel des rencontres évidentes.
Car, l'Algérie coloniale vit à la fois les cultures traditionnelles arabe, kabyle et juive, la francisation continue de la culture populaire algérienne, les modes musicales successives venues d'Amérique ou d'Europe. Là, les destinées musicales sont parfois abracadabrantes, comme celle de Maurice El Médioni. Au commencement, au tout début des années 30, il y a le cabaret de son père et de son oncle, rue de la Révolution, au coeur du derb, le quartier juif d'Oran. Il y entend les plus grands musiciens de la musique classique d'Algérie. Car son oncle est Saoud l'Oranais, dont l'orchestre est une légende de la musique arabo-andalouse. Mais, lorsque le père de Maurice meurt brutalement en 1935, Saoud ferme le cabaret et part en France. Déporté en 1943, il sera gazé le jour de son arrivée au camp de Sobibor.
Entretemps, à Oran, Maurice est devenu un jeune pianiste fou de Trenet et de swing, et qui ne s'intéresse pas à la musique orientale qui l'environne. Avec des GI portoricains qui passent par le port de Mers-el-Kébir, il s'initie à la rumba. Un après-midi, alors qu'il pianote dans un bar, trois jeunes Arabes lui demandent s'il peut les accompagner. Leur raï s'accorde merveilleusement à la rumba de Maurice El Médioni. Le soir même, ils commencent à se produire en public. Très vite, le pianiste est engagé par des vedettes arabes avant de commencer à accompagner tous les grands musiciens juifs d'Algérie : l'immense Lili Labassi (qui, le premier, avant-guerre, a jeté des phrases en français dans ses chansons en arabe), Lili Boniche, Line Monty, Reinette l'Oranaise (qui avait été l'élève préférée de son oncle Saoud)...
C'est le temps où Salim Halali tourne les têtes en mêlant avec feu l'arabo-andalou, les traditions arabes et kabyles, les vieilles pratiques vocales judéo-maghrébines... et compose le classique des classiques de toutes les fêtes en Algérie, H'bibi dyali fenhoua. C'est le temps où Lili Boniche adapte Bambino en arabe. C'est le temps où le fantaisiste Blond Blond imite Maurice Chevalier en chantant Les Merguez. C'est le temps où Youssef Hagège, musicien juif algérien installé à Paris, compose L'Oriental...
L'indépendance de l'Algérie, c'est l'exode pour tous les musiciens juifs qui ont échappé au sort de Cheikh Raymond Leiris, abattu d'une balle dans la nuque sur le marché de Constantine. Ils continueront à jouer la musique «de là-bas» dans des cabarets du Quartier latin ou des grands boulevards, sans espoir de retour sur leur terre natale. Quelques-uns survivront peu de temps à l'exil, comme Lili Labassi (qui est le père du comédien Robert Castel). D'autres s'éloigneront de la musique, comme Maurice El Médioni, qui achète un magasin de prêt-à-porter sur la Canebière et ne se produit plus que de loin en loin.
Dans les années 80-90, donc, quelques mélancoliques parviendront à réveiller les vieilles stars. Enrico Macias lui-même retournera à la musique arabo-andalouse de sa jeunesse pour un hommage à son oncle Cheikh Raymond... Mais, des vedettes de la variété franco-arabe, seul Maurice El Médioni est encore en activité. Et, plutôt que de se confire dans les vieux airs du passé, il a choisi d'aller à la rencontre des musiciens cubains de Roberto Rodriguez. Comme si une bande de salseros avaient débarqué entre la rue de Wagram et la place d'Armes, à Oran

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