Bab El Oued comptait autant de footballeurs en herbe que de jeunes garçons. A les voir évoluer avec autant d’aisance, une balle dans les pieds, on aurait pu croire que le D….. football avait déposé dans leur berceau la précieuse pelote en caoutchouc. En un mot comme en cent, l’enfant de mon quartier naissait footballeur comme d’autres naissent pianiste, boulanger ou babao, Ne vous étonnez pas, alors, que la moindre parcelle de terrain, la moindre rue, déserte ou encombrée de voitures en stationnement, le moindre jardin se voyaient pris d’assaut par deux équipes pressées d’en découdre, qui du gallia, qui de l’ASSE, qui du Spardégna, afin de reproduire ou d’inverser le résultat du dimanche au stade Cerdan , Municipal ou Saint-Eugène. Et si le nombre de joueurs se réduisait, le match se terminait entre deux égouts qui servaient de buts.
Parfois, une rencontre provoquait un accrochage anodin qui, sur cette terre de feu, déclenchait un cataclysme. Dès lors, le football s'effaçait au profit d'un sport qui se pratique habituellement sur un ring. Les calbotes pleuvaient, les prises de judo estropiaient, les botchas « morflaient l'œil » de l'adversaire. Puis tout ce petit monde, les dobzés et les dobzants, repartaient disputer la deuxième mi-temps du match de football, heureux de ne pas être passés pour des « gamates », des « falsos » ou des « falampos » aux yeux des autres.
L'enfant de Bab El Oued était un enfant de la rue. Pas besoin d'être grand clerc pour comprendre que son parler s'appuyait sur une dialectique peu châtiée. Les gros mots cernaient de toutes parts le phrasé pataouète et la jeunesse y puisait une jouissance quasi orgasmique dans la pratique de ce langage. Bien sur, la bienséance édulcorait les propos lorsqu'ils s'adressaient à un adulte mais le naturel revenait au triple galop face à un copain du quartier.
L'enfance faisait son lit entre l'école, la rue et le cinéma. Entre la famille, les filles et les bains de mer. Entre le sourire, le rire et le fou-rire.
De l'école, quel qu'en fut le lieu, chacun garde tout au fond de son coeur et de sa mémoire, des images et des odeurs embellies par le pardon du temps. Photographies jaunies et parfums d'autrefois, pastellisés, patinés, satinés par les nombreuses quêtes du souvenir dont la répétition a définitivement lissé la mémoire pour ne conserver que la beauté de l'instant en le figeant à tout jamais. Le grincement de la craie blanche sur le noir tableau dessinant le savoir de France, la cotisation des élèves pour le traditionnel cadeau de fin d'année au maître d'école méritant, la cour interdite aux jeux violents, la confiscation des toupies, noyaux ou tchapp's par un instituteur irascible, le jeu de la mora réinventé par les garçons, renommé, allez savoir pourquoi, « pigeon » qui intriguait tant nos maîtres, le couple de photographes, qui nous plaçait minutieusement avec une patience qui aurait dû leur valoir les « palmes académiques ». Photographies du temps passé, endormies dans une boite en carton, un album de cuir affichant fièrement son âge ou un tiroir ouvert les soirs de nostalgie quand la nouvelle du décès d’un ami d’enfance vous plonge dans un abîme de désespoir, rien ne nous parle autant de l’injustice des hommes et de la fragilité du bonheur.
L’école, prolongement naturel de la maison familiale et de la rue « amicale » demeure le lieu où se nouèrent les amitiés les plus solides. Renforcées par une présence quasi permanente des camarades de classe au sein d’un même quartier, ces amitiés, élues par le cœur, parce qu’elles furent disloquées par l’exode, se sont offertes à la rigueur du temps qui passe. Elles résistent pourtant vaillamment contre les vents contraires qui éloignent chaque jour le vaisseau fantôme et emportent les naufragés de l’Algérie vers l’île de l’oubli.
L’école de Jules Ferry se décrit pour chacun d’entre nous par la magie de noms de rues. Ecole Rochambeau, collège Guillemin, cours complémentaire Condorcet, Lazerges, Franklin, Lelièvre, etc.
Ces écoles aux patronymes de militaires, artistes ou savants dont nous ignorions tout, nous suivent dans notre vie d’homme comme des souvenirs indélébiles accrochés à nos valises d’exil.
Avec le temps, les bagarres entre garçons nous semblent dérisoires. Pour un oui ou un non, une bille perdue, un tas de noyaux « dégommé » en dehors du cercle de lancer, un mot mal interprété, un croc en jambe lors d’un match de football, un regard de travers, on se retrouvait dans une entrée de maison, bien à l’abri de la surveillance des adultes, pour le match de boxe du siècle. Alors, sous les encouragements du reste de la bande du quartier, les calbotes, les botchas et les schkobes pleuvaient jusqu’à ce que l’issue du combat devienne si évidente que, de concert, la bande arrêtait le massacre. Toujours sous la protestation du vaincu qui, la rage au ventre et les yeux au beurre noir, désirait continuer la lutte afin de renverser la tendance. Parfois, ces rixes provoquées par de jeunes coqs impatients de s’imposer à la majorité, se terminaient dans l’éclat de rire. Mais quand la vexation du battu prenait de grandes proportions, la fâcherie des deux combattants duraient éternellement…jusqu’à l’exode qui effaça toutes les petites peines de l’enfance pour ne laisser filtrer que la rage, la colère et la douleur.
Dans les jardins où se croisèrent l’enfance et l’amitié, les gros mots ponctuaient chaque phrase, fleurissant le langage de la rue par des grossièretés qui feraient rougir tout un régiment de hussards. Nous devenions, par contre, de petits enfants bien élevés dés que la présence d’un adulte nous surprenait. Par un coup de baguette magique, le vilain petit canard se métamorphosait en un cygne maculé du blanc de l’innocence. Mais sitôt le dos tourné, le naturel revenait au galop et nous adoptions les adjectifs les plus grossiers pour estampiller notre façon de penser. Parler ce langage outrancier nous identifiait « voyous » aux yeux des plus grands. Nous ressentions une fierté certaine d’imiter nos aînés et, il faut bien le dire, l’habillage que nous offrions à nos propos, ne dupait que nous-mêmes. Le problème est qu’il devint très vite une habitude qui parfuma notre pataouète d’expressions irrespectueuses devenues naturelles au fil des années.
L’enfance en Algérie vivait au grand air. Poussé par les mamans pour aller jouer « en bas la rue », la jeunesse ne se faisait pas prier. Les jardins d’abord, les rues ensuite, devinrent les aires les plus fréquentées de Bab El Oued par une enfance en proie au démon du jeu. Et parmi ces jeux, le football des rues était roi. Le stade ne venait qu’après, lorsque les joueurs en herbe avaient maîtrisé la technique et qu’ils étaient repérés par des adultes qui vivaient alentour des clubs. Partout se disputaient des rencontres interminables qui entretenaient l’amitié et la condition physique. Souvent le nombre des candidats pour la formation de l’équipe représentative du quartier dépassait la trentaine et seul le talent désignait le sélectionné. Cela donnait lieu à de palabres qui débouchaient inévitablement sur des défis lancés à la ronde quand çà n’était pas à des bagarres ou des fâcheries. Cela fonctionnait comme dans un club, chacun essayant de « piquer » la place du camarade pour le match suivant. Lors de ces rencontres ô combien épiques, la réputation du quartier se jouait. Aussi, on n’hésitait pas à employer tous les moyens pour vaincre l’adversaire et tant pis pour les dribbleurs et les « personnels ». Un « casseur » s’y collait et s’il ratait parfois et même souvent la « pelote » en caoutchouc, il oubliait rarement la jambe du « tchictchiqueur » et le « mangeait tout cru ».
L’enfant de Bab El Oued aimait le beau jeu, les arabesques et le « jonglage », les « t’ménieks » et les « coups de zouzguèfe », les râteaux et les « tchèques » nommées par certains « ailes de pigeon » alors qu’elles n’étaient que la représentation du geste d’un joueur qui s’appelait Jérusalem et avait enthousiasmé l’Algérie lors d’une tournée de son club tchécoslovaque dans les années 20.
On se cotisait souvent pour acheter une balle de caoutchouc dans ces royaumes de l’enfance, magasins situés face aux écoles où se perpétuait le rite immuable de l’achat du chewing-gum « globo » avec l’argent d’une couverture de cahier ou d’une plume « sergent major ». Dans ces échoppes qui vendaient des tranches de bonheur pour quelques sous, on achetait les toupies italiennes, les billes en agate ou en terre colorée, les illustrés d’occasion, les taouètes en fer au gros élastique carré, les pistolets à plomb avec leurs membranes roses ou grises que l’on superposait pour accentuer la puissance du tir, les cordes à sauter, les bracelets en toc que « zarmah’ c’était du vrai », les patins à roulettes et j’en passe. Ces commerçants d’un autre âge, à la patience légendaire et au sourire parfois crispé, qui aimaient les petits et les petites du quartier comme leurs propres enfants, qui faisaient crédit pour un sourire mais dont le regard gyrophare « matait » la moindre ébauche de larcin, on y pense encore aujourd’hui avec un cœur de tendresse. A présent que nous sommes adultes et parfois grands parents, l’enfance vient perfidement nous caresser la joue lorsque nous évoquons ces compagnons de nos belles années.
Les collections d’images sportives donnaient lieu à d’âpres batailles afin de remplir l’album le premier. On se défiait à la course, aux cartes, au football, au jeu de têtes dans une entrée de maison, à la carriole, à la toupie, à tout et à n’importe quoi afin de gagner la photo mise en jeu de MIMOUN, COHEN ou KOPA. Et lorsque l’album complet était aux mains du plus rapide, du meilleur footballeur ou du plus chanceux aux cartes, celui-ci s’empressait de le mettre aux enchères afin de récolter de quoi se payer un « crocodile », un blue jean’s ou des chaussures italiennes à bouts pointus. Pour « faire le beau » avenue de la Bouzaréah. Le beau ou la belle car les filles ne donnaient pas leur part aux chiens avec leurs tailles fines, leurs décolletés sages gorgés de douces promesses, leurs démarches ondoyantes et leurs regards en biais.
La distraction préférée de nos jeudis après-midi, rite immuable de la jeunesse américanisée faisait le bonheur des propriétaires des salles obscures de Bab El Oued et, plus rarement de la ville. Du Mon Ciné au Majestic en passant par le Marignan, la Perle, les Variétés, le Plaza, le mythique Bijou rénové en Lynx, le Trianon, hélas, transformé en Monoprix, le Suffren et le Rialto, les cinémas de Bab El Oued offraient du rêve et de l’évasion à un public bon enfant et parfois fraudeur.
Du reste, les adultes semblaient avoir passé un accord tacite avec les « oualiones » du quartier délaissant ces territoires conquis par une marmaille en goguette, exubérante à souhait devant les exploits des Trois Mousquetaires, Zorro, Robin des Bois ou Tarzan. Lorsque la nouvelle vague débarqua à Bab El Oued, certains se risquèrent à programmer les films de Godard. On siffla, hurla des « remboursez, remboursez », vociféra et c’est miracle si les cinémas ne furent pas incendiés, le Bab El Ouédien aimant trop les salles du quartier.
Les garçons et les filles atteignant l’âge canonique de 13ans, parfois moins, embarquèrent alors pour le bateau de cythère. L’amour leur offrit un voyage au long cours lors de dragues à l’abri des regards indiscrets et inquisiteurs des membres de la famille de la fille. L’été avec la liberté des congés scolaires retrouvée multiplia les jeux de ces enfants, grands et petits, dans une farandole de bonheur apprise par cœur tout au long de l’année et récitée à l’envi sous le chaud climat de Bab El Oued et ses plages ensoleillées.
L’enfance, dans ce quartier aux multiples senteurs et aux innombrables accents, demeure pour tous ceux qui ont habité ce temple de l’amitié, du voisinage et des querelles de bonne santé, le paradis tel que le rêvent encore les poètes et les savants. Une terre privilégiée qui n’en finit pas de germer dans le cœur de ces anciens garnements devenus adultes qui de temps à autre dévalent les rues de leur Bab El Oued natal à tombeau ouvert………………………………sur une carriole DE NOSTALGIE. (à suivre......)
Parfois, une rencontre provoquait un accrochage anodin qui, sur cette terre de feu, déclenchait un cataclysme. Dès lors, le football s'effaçait au profit d'un sport qui se pratique habituellement sur un ring. Les calbotes pleuvaient, les prises de judo estropiaient, les botchas « morflaient l'œil » de l'adversaire. Puis tout ce petit monde, les dobzés et les dobzants, repartaient disputer la deuxième mi-temps du match de football, heureux de ne pas être passés pour des « gamates », des « falsos » ou des « falampos » aux yeux des autres.
L'enfant de Bab El Oued était un enfant de la rue. Pas besoin d'être grand clerc pour comprendre que son parler s'appuyait sur une dialectique peu châtiée. Les gros mots cernaient de toutes parts le phrasé pataouète et la jeunesse y puisait une jouissance quasi orgasmique dans la pratique de ce langage. Bien sur, la bienséance édulcorait les propos lorsqu'ils s'adressaient à un adulte mais le naturel revenait au triple galop face à un copain du quartier.
L'enfance faisait son lit entre l'école, la rue et le cinéma. Entre la famille, les filles et les bains de mer. Entre le sourire, le rire et le fou-rire.
De l'école, quel qu'en fut le lieu, chacun garde tout au fond de son coeur et de sa mémoire, des images et des odeurs embellies par le pardon du temps. Photographies jaunies et parfums d'autrefois, pastellisés, patinés, satinés par les nombreuses quêtes du souvenir dont la répétition a définitivement lissé la mémoire pour ne conserver que la beauté de l'instant en le figeant à tout jamais. Le grincement de la craie blanche sur le noir tableau dessinant le savoir de France, la cotisation des élèves pour le traditionnel cadeau de fin d'année au maître d'école méritant, la cour interdite aux jeux violents, la confiscation des toupies, noyaux ou tchapp's par un instituteur irascible, le jeu de la mora réinventé par les garçons, renommé, allez savoir pourquoi, « pigeon » qui intriguait tant nos maîtres, le couple de photographes, qui nous plaçait minutieusement avec une patience qui aurait dû leur valoir les « palmes académiques ». Photographies du temps passé, endormies dans une boite en carton, un album de cuir affichant fièrement son âge ou un tiroir ouvert les soirs de nostalgie quand la nouvelle du décès d’un ami d’enfance vous plonge dans un abîme de désespoir, rien ne nous parle autant de l’injustice des hommes et de la fragilité du bonheur.
L’école, prolongement naturel de la maison familiale et de la rue « amicale » demeure le lieu où se nouèrent les amitiés les plus solides. Renforcées par une présence quasi permanente des camarades de classe au sein d’un même quartier, ces amitiés, élues par le cœur, parce qu’elles furent disloquées par l’exode, se sont offertes à la rigueur du temps qui passe. Elles résistent pourtant vaillamment contre les vents contraires qui éloignent chaque jour le vaisseau fantôme et emportent les naufragés de l’Algérie vers l’île de l’oubli.
L’école de Jules Ferry se décrit pour chacun d’entre nous par la magie de noms de rues. Ecole Rochambeau, collège Guillemin, cours complémentaire Condorcet, Lazerges, Franklin, Lelièvre, etc.
Ces écoles aux patronymes de militaires, artistes ou savants dont nous ignorions tout, nous suivent dans notre vie d’homme comme des souvenirs indélébiles accrochés à nos valises d’exil.
Avec le temps, les bagarres entre garçons nous semblent dérisoires. Pour un oui ou un non, une bille perdue, un tas de noyaux « dégommé » en dehors du cercle de lancer, un mot mal interprété, un croc en jambe lors d’un match de football, un regard de travers, on se retrouvait dans une entrée de maison, bien à l’abri de la surveillance des adultes, pour le match de boxe du siècle. Alors, sous les encouragements du reste de la bande du quartier, les calbotes, les botchas et les schkobes pleuvaient jusqu’à ce que l’issue du combat devienne si évidente que, de concert, la bande arrêtait le massacre. Toujours sous la protestation du vaincu qui, la rage au ventre et les yeux au beurre noir, désirait continuer la lutte afin de renverser la tendance. Parfois, ces rixes provoquées par de jeunes coqs impatients de s’imposer à la majorité, se terminaient dans l’éclat de rire. Mais quand la vexation du battu prenait de grandes proportions, la fâcherie des deux combattants duraient éternellement…jusqu’à l’exode qui effaça toutes les petites peines de l’enfance pour ne laisser filtrer que la rage, la colère et la douleur.
Dans les jardins où se croisèrent l’enfance et l’amitié, les gros mots ponctuaient chaque phrase, fleurissant le langage de la rue par des grossièretés qui feraient rougir tout un régiment de hussards. Nous devenions, par contre, de petits enfants bien élevés dés que la présence d’un adulte nous surprenait. Par un coup de baguette magique, le vilain petit canard se métamorphosait en un cygne maculé du blanc de l’innocence. Mais sitôt le dos tourné, le naturel revenait au galop et nous adoptions les adjectifs les plus grossiers pour estampiller notre façon de penser. Parler ce langage outrancier nous identifiait « voyous » aux yeux des plus grands. Nous ressentions une fierté certaine d’imiter nos aînés et, il faut bien le dire, l’habillage que nous offrions à nos propos, ne dupait que nous-mêmes. Le problème est qu’il devint très vite une habitude qui parfuma notre pataouète d’expressions irrespectueuses devenues naturelles au fil des années.
L’enfance en Algérie vivait au grand air. Poussé par les mamans pour aller jouer « en bas la rue », la jeunesse ne se faisait pas prier. Les jardins d’abord, les rues ensuite, devinrent les aires les plus fréquentées de Bab El Oued par une enfance en proie au démon du jeu. Et parmi ces jeux, le football des rues était roi. Le stade ne venait qu’après, lorsque les joueurs en herbe avaient maîtrisé la technique et qu’ils étaient repérés par des adultes qui vivaient alentour des clubs. Partout se disputaient des rencontres interminables qui entretenaient l’amitié et la condition physique. Souvent le nombre des candidats pour la formation de l’équipe représentative du quartier dépassait la trentaine et seul le talent désignait le sélectionné. Cela donnait lieu à de palabres qui débouchaient inévitablement sur des défis lancés à la ronde quand çà n’était pas à des bagarres ou des fâcheries. Cela fonctionnait comme dans un club, chacun essayant de « piquer » la place du camarade pour le match suivant. Lors de ces rencontres ô combien épiques, la réputation du quartier se jouait. Aussi, on n’hésitait pas à employer tous les moyens pour vaincre l’adversaire et tant pis pour les dribbleurs et les « personnels ». Un « casseur » s’y collait et s’il ratait parfois et même souvent la « pelote » en caoutchouc, il oubliait rarement la jambe du « tchictchiqueur » et le « mangeait tout cru ».
L’enfant de Bab El Oued aimait le beau jeu, les arabesques et le « jonglage », les « t’ménieks » et les « coups de zouzguèfe », les râteaux et les « tchèques » nommées par certains « ailes de pigeon » alors qu’elles n’étaient que la représentation du geste d’un joueur qui s’appelait Jérusalem et avait enthousiasmé l’Algérie lors d’une tournée de son club tchécoslovaque dans les années 20.
On se cotisait souvent pour acheter une balle de caoutchouc dans ces royaumes de l’enfance, magasins situés face aux écoles où se perpétuait le rite immuable de l’achat du chewing-gum « globo » avec l’argent d’une couverture de cahier ou d’une plume « sergent major ». Dans ces échoppes qui vendaient des tranches de bonheur pour quelques sous, on achetait les toupies italiennes, les billes en agate ou en terre colorée, les illustrés d’occasion, les taouètes en fer au gros élastique carré, les pistolets à plomb avec leurs membranes roses ou grises que l’on superposait pour accentuer la puissance du tir, les cordes à sauter, les bracelets en toc que « zarmah’ c’était du vrai », les patins à roulettes et j’en passe. Ces commerçants d’un autre âge, à la patience légendaire et au sourire parfois crispé, qui aimaient les petits et les petites du quartier comme leurs propres enfants, qui faisaient crédit pour un sourire mais dont le regard gyrophare « matait » la moindre ébauche de larcin, on y pense encore aujourd’hui avec un cœur de tendresse. A présent que nous sommes adultes et parfois grands parents, l’enfance vient perfidement nous caresser la joue lorsque nous évoquons ces compagnons de nos belles années.
Les collections d’images sportives donnaient lieu à d’âpres batailles afin de remplir l’album le premier. On se défiait à la course, aux cartes, au football, au jeu de têtes dans une entrée de maison, à la carriole, à la toupie, à tout et à n’importe quoi afin de gagner la photo mise en jeu de MIMOUN, COHEN ou KOPA. Et lorsque l’album complet était aux mains du plus rapide, du meilleur footballeur ou du plus chanceux aux cartes, celui-ci s’empressait de le mettre aux enchères afin de récolter de quoi se payer un « crocodile », un blue jean’s ou des chaussures italiennes à bouts pointus. Pour « faire le beau » avenue de la Bouzaréah. Le beau ou la belle car les filles ne donnaient pas leur part aux chiens avec leurs tailles fines, leurs décolletés sages gorgés de douces promesses, leurs démarches ondoyantes et leurs regards en biais.
La distraction préférée de nos jeudis après-midi, rite immuable de la jeunesse américanisée faisait le bonheur des propriétaires des salles obscures de Bab El Oued et, plus rarement de la ville. Du Mon Ciné au Majestic en passant par le Marignan, la Perle, les Variétés, le Plaza, le mythique Bijou rénové en Lynx, le Trianon, hélas, transformé en Monoprix, le Suffren et le Rialto, les cinémas de Bab El Oued offraient du rêve et de l’évasion à un public bon enfant et parfois fraudeur.
Du reste, les adultes semblaient avoir passé un accord tacite avec les « oualiones » du quartier délaissant ces territoires conquis par une marmaille en goguette, exubérante à souhait devant les exploits des Trois Mousquetaires, Zorro, Robin des Bois ou Tarzan. Lorsque la nouvelle vague débarqua à Bab El Oued, certains se risquèrent à programmer les films de Godard. On siffla, hurla des « remboursez, remboursez », vociféra et c’est miracle si les cinémas ne furent pas incendiés, le Bab El Ouédien aimant trop les salles du quartier.
Les garçons et les filles atteignant l’âge canonique de 13ans, parfois moins, embarquèrent alors pour le bateau de cythère. L’amour leur offrit un voyage au long cours lors de dragues à l’abri des regards indiscrets et inquisiteurs des membres de la famille de la fille. L’été avec la liberté des congés scolaires retrouvée multiplia les jeux de ces enfants, grands et petits, dans une farandole de bonheur apprise par cœur tout au long de l’année et récitée à l’envi sous le chaud climat de Bab El Oued et ses plages ensoleillées.
L’enfance, dans ce quartier aux multiples senteurs et aux innombrables accents, demeure pour tous ceux qui ont habité ce temple de l’amitié, du voisinage et des querelles de bonne santé, le paradis tel que le rêvent encore les poètes et les savants. Une terre privilégiée qui n’en finit pas de germer dans le cœur de ces anciens garnements devenus adultes qui de temps à autre dévalent les rues de leur Bab El Oued natal à tombeau ouvert………………………………sur une carriole DE NOSTALGIE. (à suivre......)