mercredi 9 octobre 2019

Extrait de ET LA VIE CONTINUE....DE H. ZAKINE



Richard était triste. Était-ce le temps gris et maussade qu'il avait l'habitude de qualifier de souèd selon le parler judéo-arabe de sa mère ou tout bonnement ses journées qui lui semblaient plates, inutiles et désespérantes. Il ne pouvait se résoudre à penser que sa vie était finie. Une existence sans projet, sans relief et sans joie. Seul Robert lui apportait le grain d'amitié qui agrémentait son existence. Sa nostalgie du pays prenait d'autres proportions quand elle se nourrissait de solitude. C'était le plus beau et le plus triste des sentiments parce qu'il était associé à la mémoire des visages disparus et à la terre natale. Il adorait ce mot qu'il estimait le plus joli de la langue française. Lorsqu'il couchait ses phrases sur papier nostalgie, se réveillaient en lui mille petites mélancolies de sa vie passée. Alors, la ville natale lui apportait des relents de bonheur indicible, souvenirs d'enfance arrachés au malheur, maisons blanches, cabanons les pieds dans l'eau et rires en cascades. Comme lui semblait fade le temps qui lui restait à vivre! Comme était dur de ne plus aimer et ne de plus être aimé! Comme lui paraissait injuste la démission affective de sa compagne. Que l'amour semblait chose futile quand le premier accroc le déchire d'un coup de dent.

Quand le petit écran lui renvoyait l'amour de deux êtres, il détournait les yeux afin de ne pas voir ce qui lui était interdit. Ce n’était pas ça, la vie!
Se lever, se laver, s'habiller et sortir sous le regard insupportable et inquisiteur des passants, et tout autour, une méditerranée, vague connaissance des jours heureux qui ne s'offre plus, rester seul jusqu'à l'heure de déjeuner et se dire que l'après-midi serait à l'image de la matinée. Puis attendre le soir qui tombe, la nuit insomniaque qui reprend la valse de l'infortune jusqu'à épuisement.
Mais que faire pour s'extirper de cette maladie des biens portants qui devient une petite mort pour les handicapés. Il ne savait pas ce que cela signifiait être mal dans sa peau, avant le déluge, la catastrophe, la débâcle. Il était devenu un homme en colère. Le médecin ne lui avait-il pas dit que jamais, il n'avait vu un homme qui portait tant de fureur en lui? Il semblait en vouloir au monde entier. Comment en serait-il autrement? Hier encore, il était un homme aimé de ses amis, et courtisé par les autres. Hier encore, adoré de sa meilleure amie, il vivait un amour parfait à l'abri des médisances?
Et même s'il s'en voulait de n'avoir pas su déceler cette montée de tension qui le terrassa, il ne comprenait pas. Il avait beau questionner Hachem sur la raison de cette épreuve, sa chambre ne répercutait aucune réponse. Dans son îlot de solitude, il s'époumonait à chercher le pourquoi et le comment de ce qui lui était arrivé. Mais il eut la sensation de parler à un mur.
Il éprouvait le ressenti du prisonnier confronté à la solitude. Mais, se disait-il, l'assassin, l'escroc ou le truand méritent la punition, pas lui! Devenir le geôlier de son propre corps, c'était la triste réalité.
Parfois, il parvenait à s'extraire de ce monde de désolation mais quand le trouble s'insinuait en lui, il ne raisonnait plus comme un être de chair et de sang. Sans doute parce qu'il n'avait plus aucune de raison de se battre. Combien de fois avait-il eu envie de se perdre dans l'eau douce de son enfance même si elle n'avait pas la même chaleur, même si elle n'avait pas le même accent, elle avait un air de ressemblance avec sa méditerranée iodée qui berça ses jeunes années. Oui, il avait parfois envie de noyer ses chagrins en se laissant porter par un vent libérateur, partir et choisir de cesser cette comédie qu'aucun spectateur n'a envie d'applaudir. Couler et ne plus penser à la déchéance du corps et de l'esprit, ne plus penser à rien, ce rien qui résonne dans ses oreilles comme une litanie.
Ah, si les amis étaient là, en France et non en Israël, à Saint-Cyr et non à Miami, le challenge de relever la tête serait bien plus aisé, bien plus accessible. Mais se retrouver seul face à la maladie lui paraissait une épreuve insurmontable.
La nuit descendit sur la plage, rougissant l'horizon comme jadis sur le Cap Matifou. Image d'autrefois qui réveilla, en lui, l'envie de continuer malgré tout, pour apaiser ses sens et croire encore en la vie.

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