mardi 9 juillet 2019

LES PETITS FIANCES D’ALGER de HUBERT ZAKINE

LES PETITS FIANCES D’ALGER                    
Tout commença par un « bonjour mesdemoiselles » que je lançais en passant devant le banc d’un jardin d’Alger. Jamais, j’avais fait ça ! Aussi, je fus bien désarçonné par le sourire que la petite blonde me décocha.
--Purée, mais qu’est-ce qui m’a pris de lui adresser la parole!……la honte ! regrettai-je en m’adressant à Roland, l’ami des premiers jours.
--Eh bien quoi ? Tu es Robert Taylor ou non ? Ironisa Roland.
--J’ai à peine huit ans ! Qué Robert Taylor ! Parle- moi plutôt de Pim, Pam, Poum !
Roland et Richard s’étaient connus à Bab El Oued, sur les bancs de l’école maternelle de la rue Rochambeau et depuis, la fréquence des rencontres  les avaient entrainés dans le tourbillon de l’amitié à la vie, à la mort, à l’amour. Deux petits bouts de zan ! répétaient leurs mères qui avaient fréquenté l’école de la rue des Gétules dans la basse casbah de leur jeunesse.
-- Si ma mère, elle le sait, illico presto, elle me met en pension.
Purée, cette pension, combien de fois n’avait-elle été le dernier recours des mamans devant la fainéantise ou la désobéissance  de leur chitane de fils ?
--Tu sais ce que je ferais si j’étais toi ? Demanda Roland.
--Si tu étais moi, tu irais te cacher dans un trou de souris !
--Pas du tout ! Elle t’a lancé le même regard qu’Elizabeth Taylor elle a lancé à Robert Taylor dans Ivanhoé.
--Putain, tu vas trop au cinéma, toi ! Tout à l’heure, tu vas me demander d’ouvrir la mer à Padovani. Zarmah, je suis Moïse!
Malgré son envie de rire, Roland insista.
--Ecris-lui un mot et, ma parole, je lui apporte demain.
--Et qu’est-ce que je vais lui raconter ? Comment on fabrique une carriole ?
--Demande-lui simplement de marcher avec toi !
--Va te faire, va ! Pour qu’elle aille le dire à sa mère et que son père, il m’en mette une !
--Moi, je suis sûr qu’elle serait pas contre……Demain, je lui porte un mot de toi.
--Tu veux jouer l’entre……comment on dit……l’entre…. metteuse ou quoi ?
--Je veux seulement que tu arrêtes de jouer les gamates !
--Ah, parce que, toi, tu oserais lui parler ?
--Tu es fou ! C’est pas à moi qu’elle a souri ! Mais comme il dit mon père, il faut  enfoncer le clou pour connaitre la vérité!
--Enfoncer le clou ? Le clou de girofle ?
-- Arrêtes de faire ton intéressant!
--Mais ton père, il est cordonnier, c’est normal qu’il enfonce des clous pour ressemeler les chaussures ! Yaré, Yaré !
--Bon, demain, le bon dieu il est grand ! Tu décideras après une bonne nuit de sommeil.

Qui c’est qui dort ? Toute la nuit, je me suis posé trente-six mille questions. C’est vrai qu’elle me plait cette petite mais, comme il a dit Roland qui me connait bien, je suis une gamate. Pas à la bagarre mais devant cette bouznica qu’elle m’a tapé dans l’œil. Et puis la vérité, si un copain veut échanger miss Bouznica contre une carriole, un taouète  ou un sac de noyaux, à savoir si j’accepte pas. Alors, demain, je dirais à Roland qu’il aille se faire une soupe de fèves. 
Zarmah, la nuit, elle porte conseil. Total, le lendemain, avec les commissions de ma mère à faire au marché Nelson et le match de foot au jardin Guillemin, même pas j’ai le temps de penser à elle. Mais dès 15 heures, après que j’ai passé une heure à me faire beau (raie bien droite, tennis blanchies et pull en fil d’écosse sur le dos), avec Roland et Paulo, j’ai commencé à faire la mata pour voir le moment où elle allait apparaitre et, avec elle, la colique qui va plus me lâcher. Roland, il a dans ses mains le petit mot que j’ai préparé avec cette simple demande : tu veux marcher avec moi ! Rien que je le lis et j’ai envie de me sauver tellement j’ai honte ! Eh, c’est normal, j’ai huit ans ! Mes amis, y se bidonnent. Roland surtout.
--Tu vas pas te dégonfler, hein ?
Je lui réponds du tac au tac.
-- Moi, j’ai fait le mot, toi tu vas le lui porter!
Et ces aiguilles de la montre de la pharmacie Laffarge qui tournent au ralenti, ça m’énerve ! Pourtant, « la Bonbonnière » qui appartient à son oncle, ce kiosque où on mange les meilleurs beignets italiens d’Alger, de France, du monde et des alentours, il est ouvert. Même qu’il embaume tout le jardin Guillemin. Rien que je demande l’heure aux gens qui passent. Avec les amis, on s’est assis juste en face la bonbonnière pour qu’elle peut pas me rater. Purée, et si jamais, elle m’envoie chez Dache ? Je me pose cette question  parce que si elle refuse, je frappe Roland tellement je serais énervé. Eh, c’est lui qui m’a tarabusté pour que je la drague.
--Attaque-la ! Elle t’a souri ! Putain, si elle m’avait souri à moi……
--Qu’est-ce tu aurais fait ?
Roland y sait plus quoi répondre.
-Tu aurais demandé sa main à sa mère ?
--VA TE FAIRE ! D’abord, c’est pas moi qu’elle veut !
--Et d’où tu sais qu’elle me veut ? J’aurais l’air fin si elle le dit à sa mère. Et que sa mère, elle m’engueule et que son père, y me fait les gros yeux !
--Bouh, moi, j’me sauve !
--Qu’est-ce tu te sauve ? Tu restes avec moi !
Oh, putain, la voilà.
--Chof comme elle est riche ?
--Où elle est riche ?
--Hier, elle avait une robe rouge et aujourd’hui, elle est en jaune !
--Regarde, elle te regarde !
--Tu es laouère, c’est toi qu’elle mate !
--Oui, mais c’est à toi qu’elle sourit.
On est comme trois babaos. Elle doit nous prendre pour des r’mars !
--Et oui, mais, pour lui donner ce mot, il faut pas qu’elle reste près de sa mère.
--Attends ! Elle vient d’arriver !
Putain, j’ai tellement le trouillomètre à zéro que j’aimerais être demain. Tiens, voilà un autre babao : Mani, notre ami. Je dis ami parce que je fais la différence entre un copain et un ami. Comme il dit mon frère ainé qui a toujours raison (ou sinon, je prends une calbote) « un ami c’est celui qui rit au même moment et pour les mêmes plaisanteries que toi. S’il sourit là où tu t’esclaffes, il sera tout au mieux, un copain ! » Ba ba ba, vous voyez, mon frère, il a toujours raison.
--Bon venez on descend en bas !
--Ah, bon ! Tia as l’habitude de descendre en haut, toi ?
Alain qui avait été mis au courant par Roland intervint.
--Tu vois pas qu’il est amoureux, le pauvre ! On dirait un zombi !
--Amoureux d’une bouznika pareille, moi ! Tu rigoles ou quoi ?
--Y a pas de mal ! Tié amoureux, tié amoureux !
--Va à fancoule !
Une petite parenthèse pour ceux qui ne connaissent pas les cinq jardins Guillemin : l’impératrice Eugénie a trouvé que la ville manquait d’ombre. Napoléon il a dessiné deux trouées pratiquement identiques, une en ville, et une autre à Bab El Oued : Laferrière et Guillemin où furent crées des jardins pour faire plaisir à son épouse Eugénie. D’où les cinq jardins de bas en haut du boulevard Guillemin (fermons la parenthèse) 
--Regarde la petite, elle me mange des yeux.
--C’est pas toi qui disait qu’elle est bouznika ?
--Elle peut être bouznika et tomber amoureuse du plus beau garçon de Bab El Oued.  
--Si toi tu es le plus beau, alors, moi qu’est-ce que je devrais dire ?
--Que tié le plus vilain !
Plus ça va et moins ça va pour Roland qui se rend compte qu’il va devoir porter le mot à la blondinette. Parler, c’est facile mais tenir parole et le faire, c’est soudain l’Himalaya pour un timide comme Roland. Ce bâtard, y se dégonfle !
--Alain, vas-y!
--Pourquoi moi ?
--Parce que tu ressembles à Cary Grant !
Le fou rire des amis, ça m’énerve un maximum ! Putain, de falampos ! Aouah, je peux pas compter sur eux. La petite, elle descend vers mon jardin situé plus bas que le sien. Tant pis, je vais aller me proposer tout seul comme un grand. Putain, c’est qu’elle est belle ! J’ai honte ! Bou arlékom, mes amis c’est des coulos de la pire espèce. Je peux pas compter sur eux, y me laisseraient crever la gueule ouverte comme elle dit ma mère.
--Alors, tu y vas, ouais ?
Roland, il est aux abonnés absents. Rien qu’il regarde ses mévas comme si elles étaient en or.
Qui c’est qui répond ?
Et le miracle, y s’accomplit ! Alain, y doit vraiment croire qu’il ressemble à Cary Grant. Il prend le billet, y passe la main dans sa tignasse (zarmah, il se recoiffe) et y se dirige vers la blondinette. Putain, la classe ! Et alors, qu’il lui parle, y a un couillon de la lune qui vient me voir, y me donne un papier et y se sauve en courant.
--C’est la petite là-bas qui t’envoie ce mot !
Rien, je comprends. Sur le papier, ya  écrit : tu veux marcher avec moi ?
Qu’est ce que ça veut dire ce binn’s ? Comme si on s’était donné le mot : alors que je lui demande si elle veut marcher avec moi, ce petit bout de zan, en même temps, au même moment, elle m’envoie un babao pour me demander en mariage. Enfin, en mariage…………..Putain, même au cinéma, le meilleur scénariste, il a jamais pensé à ça ! Putain, je reste pantois. (Pantois, dis-moi un peu où j’ai été cherché ce mot, où ?) Rien que je relis le mot que le badjej y m’a mis dans la main avant de se tailler comme si je suis Dracula. Je la regarde, elle me regarde en me souriant, Alain y revient satisfait de lui.
--Alors, raconte.
Fier comme Artaban, Alain y se la joue.
--Tia aucune chance, elle a dit que tu ressembles à Fernandel !
--Chof, le mot qu’elle m’a fait porter !
Moi, je suis sûr de moi. Alain, lui aussi, y reste pantois quand il déchiffre : tu veux marcher avec moi, signé Colette !
--Ô putain, c’est pas vrai !
--Ma parole.
Roland, ce péteux, y témoigne.
--Ouais, sa parole !
Ouais, mais maintenant, qu’est-ce je fais ? Je vais quand même pas lui chanter Rossignol de mes amours ?
Ô putain, elle vient vers moi ! Quelle dévergondée, ce bout de zan ! Putain, qu’est-ce qu’elle est belle dans sa robe jaune !! Au secours, manman !
--Bonjour, tu t’appelles comment ?
De quoi j’me mêle. Debdebah, je prends l’air détaché, style James Dean avec un zeste de Cary Grant.
--Robert, et toi ?
Toute seule, la question elle est sortie de ma bouche. .
 --Colette ! Et elle me tape un sourire pareil à Marilyn Monroe dans 7 ans de réflexion. Roland, il est dans ses petits souliers. Il regarde toujours ses mévas. Je prends mon courage à trois mains et je pose la question qui tue à Colette :
--Pourquoi tu veux marcher avec moi ?
Elle me répond du tac au tac comme si elle attendait que ça.
--Parce que. Et elle se met pas à chanter la chanson de Charles Aznavour : parce que tia les yeux bleus, que tu croques à la vie…………
--Tu aimes  Charles Aznavour ?
--C’est mon chanteur préféré.
--Alors, on a les mêmes goûts………mais ça me dit pas pourquoi, tu veux marcher avec moi !
--Parce que ……….je te trouve……….. Elle hésite. Alors, je lui tends la perche.
--Beau, vilain, musclé, couillon de la lune……
Je la fais rire. Putain, elle est encore plus belle quand elle rit. Je vais lui faire des chatouilles ou lui raconter des histoires à mourir de rire.
--Tié tout simplement……à mon goût !
Waouh ! Putain, elle a pas froid aux yeux la petite bouznika. Je meurs de honte. Roland, il oublie ses mévas mais il est rouge de confusion. Quant à Alain, même pas il fait cas. Il prépare ses noyaux pour défier  Freddy.
Elle me demande où j’habite, quel âge j’ai, si j’ai des frères, des sœurs, des tantes, des oncles, des cousins……oh, elle fait partie du FBI ou quoi ? Je lui demande pas si sa grand-mère elle fait du vélo, moi ! Rien que je la regarde ! La vérité, le coup de foudre, il est pas à des kilomètres, c’est moi qui vous le dis ! Il faut dire aussi que c’est la première fille qui veut marcher avec moi. Alors, bien sûr, je suis tout gaga ! J’ai pas l’expérience de Cary Grant, moi, oh, vous rigolez ! Mais maintenant, ma parole d’honneur, les films d’amour, je vais les décortiquer pour mater comment ils se prennent les grands séducteurs et, les filles, Colette la première, elles vont se pâmer devant moi. Purée, sa mère, c’est un canus. Si elle lui ressemble quand elle sera grande, je l’épouse immédiatement ! Ou je mets une option sur elle ! Non, sans blaguer, j’ai beau mater les autres petites du jardin Guillemin, elles sont belles mais, la vérité, Colette, elle a quelque chose en plus.  Pas des tétés, elle est trop petite mais, j’me dis que si elle tire de sa mère, je risque d’en avoir plein les mains. Pour le moment, je parle avec elle comme si elle est ma cousine. Comme si on se connait depuis vitam aeternam, que sa mère et ma mère, elles sont amies d’enfance (c’est bon de rêver, hein ?).
Enfin, chaque jour qui passe, je tape le bain à Padovani jusqu’à trois heures de l’après-midi et ensuite, je m’fais beau pareil à l’acteur américain que je me rappelle pas le nom, et je descends au jardin. Et, là, je fais comme Charles, j’attends. Les amis y remontent de la plage et ils se moquent de moi. Ca se voit qu’ils sont pas amoureux, les babaos. Vous voulez que j’vous dise, y sont jaloux qu’ils en peuvent plus. Colette, elle m’a choisie et pas eux. La vérité, c’est pas des vrais amis ceux qui te mettent les yeux comme ça ! Mais aouah, je m’aperçois que je peux pas compter sur eux, que des bons à rien ! Oh, purée, je deviens une teigne. Ca me ressemble pas, çà. Y faut que je me ressaisisse ou sinon, je vais me retrouver solitaire parmi la foule. J’écris vraiment n’importe quoi !
Y faut dire que Colette, elle se fait attendre alors, obligé, je piaffe d’impatience. Et les amis, y me narguent. Roland, surtout.
--Si ça trouve, elle  allume tous les garçons et, toi, comme un puceau, tu es tombé dans le piège.
-- Qué, elle allume ! Ma parole, tu vois trop de films. On a  huit ans et tu parles comme si on était grands.
Paulo, il me tape sur le bras.
--La voilà ! Pourquoi elle est avec le coiffeur Gaétan.
--C’est son oncle, ya badjej! Chof, Roland comme elle me cherche du regard. La classe !
Total, je sais bien qu’il est content pour moi mais ça fait mieux que de dire : je suis jaloux que j’en peux plus. Purée, Colette, elle doit rouler sur l’or. Tous les jours, elle change de robe. Et moi, je ressemble à un misérable avec mon pantalon court qu’il a appartenu à mon frère ainé, puis à mon frère cadet, et moi, raïeb, même pas j’ai droit de me plaindre. Mais, la petite du jardin Guillemin, elle me trouve à son goût alors, qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse (putain, je deviens érudit) alors qué j’m’en fous si j’suis pas habillé comme un lord ! Capo, un ami, il est plein de pognon mais Colette, même pas elle le regarde. Je joue pas les balèzes mais quand même, quand même, ça fait du bien de savoir que les filles elles font pas des règles de tris pour choisir un garçon. S’il est beau et musclé (c’est mon cas), il a toutes ses chances même s’il a les poches orphelines.  Ca y est, vous êtes en train (ou en avion) de vous dire, pour qui y se prend ? Je plaisante en disant que je suis beau et musclé. Vous êtes lourds ! La plaisanterie et vous, vous êtes pas passés par la même porte ou quoi ?


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