Tout commença par un « bonjour mesdemoiselles » que
je lançais en passant devant le banc d’un jardin d’Alger. Jamais, j’avais fait
ça ! Aussi, je fus bien désarçonné par le sourire que la petite blonde me
décocha.
--Purée, mais qu’est-ce qui
m’a pris de lui adresser la parole!……la honte ! regrettai-je
en m’adressant à Roland, l’ami des premiers jours.
--Eh bien quoi ? Tu es
Robert Taylor ou non ? Ironisa Roland.
--J’ai à peine huit ans !
Qué Robert Taylor ! Parle- moi plutôt de Pim, Pam, Poum !
Roland et Richard s’étaient connus à Bab El Oued, sur les
bancs de l’école maternelle de la rue Rochambeau et depuis, la fréquence des
rencontres les avaient entrainés dans le
tourbillon de l’amitié à la vie, à la mort, à l’amour. Deux petits bouts de zan ! répétaient leurs mères qui avaient
fréquenté l’école de la rue des Gétules dans la basse casbah de leur jeunesse.
-- Si ma mère, elle le sait,
illico presto, elle me met en pension.
Purée, cette pension, combien de fois n’avait-elle été le
dernier recours des mamans devant la fainéantise ou la désobéissance de leur chitane de fils ?
--Tu sais ce que je ferais si
j’étais toi ? Demanda Roland.
--Si tu étais moi, tu irais te
cacher dans un trou de souris !
--Pas du tout ! Elle t’a
lancé le même regard qu’Elizabeth Taylor elle a lancé à Robert Taylor dans
Ivanhoé.
--Putain, tu vas trop au
cinéma, toi ! Tout à l’heure, tu vas me demander d’ouvrir la mer à
Padovani. Zarmah, je suis Moïse!
Malgré son envie de rire, Roland insista.
--Ecris-lui un mot et, ma
parole, je lui apporte demain.
--Et qu’est-ce que je vais lui
raconter ? Comment on fabrique une carriole ?
--Demande-lui simplement de
marcher avec toi !
--Va te faire, va ! Pour
qu’elle aille le dire à sa mère et que son père, il m’en mette une !
--Moi, je suis sûr qu’elle
serait pas contre……Demain, je lui porte un mot de toi.
--Tu veux jouer
l’entre……comment on dit……l’entre…. metteuse ou quoi ?
--Je veux seulement que tu
arrêtes de jouer les gamates !
--Ah, parce que, toi, tu
oserais lui parler ?
--Tu es fou ! C’est pas à
moi qu’elle a souri ! Mais comme il dit mon père, il faut enfoncer le clou pour connaitre la
vérité!
--Enfoncer le clou ? Le clou
de girofle ?
-- Arrêtes de faire ton
intéressant!
--Mais ton père, il est
cordonnier, c’est normal qu’il enfonce des clous pour ressemeler les chaussures
! Yaré, Yaré !
--Bon, demain, le bon dieu il
est grand ! Tu décideras après une bonne nuit de sommeil.
Qui c’est qui dort ? Toute la nuit, je me suis posé
trente-six mille questions. C’est vrai qu’elle me plait cette petite mais,
comme il a dit Roland qui me connait bien, je suis une gamate. Pas à la bagarre mais devant cette bouznica
qu’elle m’a tapé dans l’œil. Et puis la vérité, si un copain veut
échanger miss Bouznica contre une carriole, un taouète ou un sac de noyaux, à savoir si j’accepte
pas. Alors, demain, je dirais à Roland qu’il aille se faire une soupe de
fèves.
Zarmah, la nuit, elle porte conseil. Total, le lendemain, avec les
commissions de ma mère à faire au marché Nelson et le match de foot au jardin
Guillemin, même pas j’ai le temps de penser à elle. Mais dès 15 heures, après
que j’ai passé une heure à me faire beau (raie bien droite, tennis blanchies et
pull en fil d’écosse sur le dos), avec Roland et Paulo, j’ai commencé à faire
la mata pour voir le moment où elle allait apparaitre et, avec elle, la colique
qui va plus me lâcher. Roland, il a dans ses mains le petit mot que j’ai
préparé avec cette simple demande : tu veux marcher avec moi ! Rien
que je le lis et j’ai envie de me sauver tellement j’ai honte ! Eh, c’est
normal, j’ai huit ans ! Mes amis, y se bidonnent. Roland surtout.
--Tu vas pas te dégonfler, hein ?
Je lui réponds du
tac au tac.
-- Moi, j’ai fait le mot, toi tu vas le lui
porter!
Et ces aiguilles de
la montre de la pharmacie Laffarge qui tournent au ralenti, ça m’énerve !
Pourtant, « la Bonbonnière » qui appartient à son oncle, ce kiosque
où on mange les meilleurs beignets italiens d’Alger, de France, du monde et des
alentours, il est ouvert. Même qu’il embaume tout le jardin Guillemin. Rien que
je demande l’heure aux gens qui passent. Avec les amis, on s’est assis juste en
face la bonbonnière pour qu’elle peut pas me rater. Purée, et si jamais, elle
m’envoie chez Dache ? Je me
pose cette question parce que si elle
refuse, je frappe Roland tellement je serais énervé. Eh, c’est lui qui m’a
tarabusté pour que je la drague.
--Attaque-la ! Elle t’a souri !
Putain, si elle m’avait souri à moi……
--Qu’est-ce tu aurais fait ?
Roland y sait plus
quoi répondre.
-Tu aurais demandé sa main à sa mère ?
--VA TE FAIRE ! D’abord, c’est pas moi
qu’elle veut !
--Et d’où tu sais qu’elle me veut ?
J’aurais l’air fin si elle le dit à sa mère. Et que sa mère, elle m’engueule et
que son père, y me fait les gros yeux !
--Bouh,
moi, j’me sauve !
--Qu’est-ce tu te sauve ? Tu restes
avec moi !
Oh, putain, la
voilà.
--Chof
comme elle est riche ?
--Où elle est riche ?
--Hier, elle avait une robe rouge et
aujourd’hui, elle est en jaune !
--Regarde, elle te regarde !
--Tu es laouère,
c’est toi qu’elle mate !
--Oui, mais c’est à toi qu’elle sourit.
On est comme trois babaos. Elle doit nous prendre pour des
r’mars !
--Et oui, mais, pour lui donner ce mot, il
faut pas qu’elle reste près de sa mère.
--Attends ! Elle vient d’arriver !
Putain, j’ai
tellement le trouillomètre à zéro que j’aimerais être demain. Tiens, voilà un
autre babao : Mani, notre ami.
Je dis ami parce que je fais la différence entre un copain et un ami. Comme il
dit mon frère ainé qui a toujours raison (ou sinon, je prends une calbote) « un ami c’est celui qui
rit au même moment et pour les mêmes plaisanteries que toi. S’il sourit là où
tu t’esclaffes, il sera tout au mieux, un copain ! » Ba ba ba, vous
voyez, mon frère, il a toujours raison.
--Bon venez on descend en bas !
--Ah, bon ! Tia as l’habitude de
descendre en haut, toi ?
Alain qui avait été
mis au courant par Roland intervint.
--Tu vois pas qu’il est amoureux, le
pauvre ! On dirait un zombi !
--Amoureux d’une bouznika pareille, moi ! Tu rigoles ou quoi ?
--Y a pas de mal ! Tié amoureux, tié
amoureux !
--Va à fancoule !
Une petite
parenthèse pour ceux qui ne connaissent pas les cinq jardins Guillemin :
l’impératrice Eugénie a trouvé que la ville manquait d’ombre. Napoléon il a
dessiné deux trouées pratiquement identiques, une en ville, et une autre à Bab
El Oued : Laferrière et Guillemin où furent crées des jardins pour faire
plaisir à son épouse Eugénie. D’où les cinq jardins de bas en haut du boulevard
Guillemin (fermons la parenthèse)
--Regarde la petite, elle me mange des yeux.
--C’est pas toi qui disait qu’elle est
bouznika ?
--Elle peut être bouznika et tomber
amoureuse du plus beau garçon de Bab El Oued.
--Si toi tu es le plus beau, alors, moi
qu’est-ce que je devrais dire ?
--Que tié le plus vilain !
Plus ça va et moins
ça va pour Roland qui se rend compte qu’il va devoir porter le mot à la blondinette.
Parler, c’est facile mais tenir parole et le faire, c’est soudain l’Himalaya
pour un timide comme Roland. Ce bâtard, y se dégonfle !
--Alain, vas-y!
--Pourquoi moi ?
--Parce que tu ressembles à Cary
Grant !
Le fou rire des
amis, ça m’énerve un maximum ! Putain, de falampos ! Aouah,
je peux pas compter sur eux. La petite, elle descend vers mon jardin situé plus
bas que le sien. Tant pis, je vais aller me proposer tout seul comme un grand.
Putain, c’est qu’elle est belle ! J’ai honte ! Bou arlékom, mes amis c’est des coulos de la pire espèce. Je peux pas compter sur eux, y me
laisseraient crever la gueule ouverte comme elle dit ma mère.
--Alors, tu y vas, ouais ?
Roland, il est aux
abonnés absents. Rien qu’il regarde ses mévas comme si elles étaient en or.
Qui c’est qui
répond ?
Et le miracle, y
s’accomplit ! Alain, y doit vraiment croire qu’il ressemble à Cary Grant. Il
prend le billet, y passe la main dans sa tignasse (zarmah, il se recoiffe) et y
se dirige vers la blondinette. Putain, la classe ! Et alors, qu’il lui
parle, y a un couillon de la lune qui vient me voir, y me donne un papier et y
se sauve en courant.
--C’est la petite là-bas qui t’envoie ce
mot !
Rien, je comprends.
Sur le papier, ya écrit : tu veux marcher avec moi ?
Qu’est ce que ça
veut dire ce binn’s ? Comme
si on s’était donné le mot : alors que je lui demande si elle veut marcher
avec moi, ce petit bout de zan, en même temps, au même moment, elle m’envoie un
babao pour me demander en mariage.
Enfin, en mariage…………..Putain, même au cinéma, le meilleur scénariste, il a
jamais pensé à ça ! Putain, je reste pantois. (Pantois, dis-moi un peu où
j’ai été cherché ce mot, où ?) Rien que je relis le mot que le badjej y m’a mis dans la main avant de
se tailler comme si je suis Dracula. Je la regarde, elle me regarde en me
souriant, Alain y revient satisfait de lui.
--Alors, raconte.
Fier comme Artaban,
Alain y se la joue.
--Tia aucune chance, elle a dit que tu
ressembles à Fernandel !
--Chof, le mot qu’elle m’a fait
porter !
Moi, je suis sûr de
moi. Alain, lui aussi, y reste pantois quand il déchiffre : tu veux marcher avec moi, signé Colette !
--Ô putain, c’est pas vrai !
--Ma parole.
Roland, ce péteux,
y témoigne.
--Ouais, sa parole !
Ouais, mais
maintenant, qu’est-ce je fais ? Je vais quand même pas lui chanter
Rossignol de mes amours ?
Ô putain, elle
vient vers moi ! Quelle dévergondée, ce bout de zan ! Putain,
qu’est-ce qu’elle est belle dans sa robe jaune !! Au secours,
manman !
--Bonjour, tu t’appelles comment ?
De quoi j’me mêle. Debdebah, je prends l’air détaché,
style James Dean avec un zeste de Cary Grant.
--Robert, et toi ?
Toute seule, la question
elle est sortie de ma bouche. .
--Colette !
Et elle me tape un sourire
pareil à Marilyn Monroe dans 7 ans de réflexion. Roland, il est dans ses petits
souliers. Il regarde toujours ses mévas. Je prends mon courage à trois mains et
je pose la question qui tue à Colette :
--Pourquoi tu veux marcher avec moi ?
Elle me répond du
tac au tac comme si elle attendait que ça.
--Parce que. Et elle se met pas à chanter la chanson de
Charles Aznavour : parce que tia les
yeux bleus, que tu croques à la vie…………
--Tu aimes Charles Aznavour ?
--C’est mon chanteur préféré.
--Alors, on a les mêmes goûts………mais ça me
dit pas pourquoi, tu veux marcher avec moi !
--Parce que ……….je te trouve……….. Elle hésite. Alors, je lui tends la
perche.
--Beau, vilain, musclé, couillon de la
lune……
Je la fais rire.
Putain, elle est encore plus belle quand elle rit. Je vais lui faire des
chatouilles ou lui raconter des histoires à mourir de rire.
--Tié tout simplement……à mon goût !
Waouh !
Putain, elle a pas froid aux yeux la petite bouznika. Je meurs de honte.
Roland, il oublie ses mévas mais il est rouge de confusion. Quant à Alain, même
pas il fait cas. Il prépare ses noyaux pour défier Freddy.
Elle me demande où
j’habite, quel âge j’ai, si j’ai des frères, des sœurs, des tantes, des oncles,
des cousins……oh, elle fait partie du FBI ou quoi ? Je lui demande pas si
sa grand-mère elle fait du vélo, moi ! Rien que je la regarde ! La
vérité, le coup de foudre, il est pas à des kilomètres, c’est moi qui vous le
dis ! Il faut dire aussi que c’est la première fille qui veut marcher avec
moi. Alors, bien sûr, je suis tout gaga ! J’ai pas l’expérience de Cary
Grant, moi, oh, vous rigolez ! Mais maintenant, ma parole d’honneur, les
films d’amour, je vais les décortiquer pour mater comment ils se prennent les
grands séducteurs et, les filles, Colette la première, elles vont se pâmer
devant moi. Purée, sa mère, c’est un
canus. Si elle lui ressemble quand elle sera grande, je l’épouse
immédiatement ! Ou je mets une option sur elle ! Non, sans blaguer,
j’ai beau mater les autres petites du jardin Guillemin, elles sont belles mais,
la vérité, Colette, elle a quelque chose en plus. Pas des tétés, elle est trop petite mais,
j’me dis que si elle tire de sa mère, je risque d’en avoir plein les mains.
Pour le moment, je parle avec elle comme si elle est ma cousine. Comme si on se
connait depuis vitam aeternam, que sa mère et ma mère, elles sont amies
d’enfance (c’est bon de rêver, hein ?).
Enfin, chaque jour qui passe,
je tape le bain à Padovani jusqu’à trois heures de l’après-midi et ensuite, je
m’fais beau pareil à l’acteur américain que je me rappelle pas le nom, et je
descends au jardin. Et, là, je fais comme Charles, j’attends. Les amis y
remontent de la plage et ils se moquent de moi. Ca se voit qu’ils sont pas
amoureux, les babaos. Vous voulez
que j’vous dise, y sont jaloux qu’ils en peuvent plus. Colette, elle m’a
choisie et pas eux. La vérité, c’est pas des vrais amis ceux qui te mettent les
yeux comme ça ! Mais aouah, je
m’aperçois que je peux pas compter sur eux, que des bons à rien ! Oh,
purée, je deviens une teigne. Ca me ressemble pas, çà. Y faut que je me
ressaisisse ou sinon, je vais me retrouver solitaire parmi la foule. J’écris
vraiment n’importe quoi !
Y faut dire que Colette, elle
se fait attendre alors, obligé, je piaffe d’impatience. Et les amis, y me
narguent. Roland, surtout.
--Si ça trouve, elle
allume tous les garçons et, toi, comme un puceau, tu es tombé dans le
piège.
-- Qué, elle allume ! Ma parole, tu vois trop de
films. On a huit ans et tu parles comme
si on était grands.
Paulo, il me tape sur le
bras.
--La voilà ! Pourquoi elle est avec le coiffeur Gaétan.
--C’est son oncle, ya badjej! Chof, Roland
comme elle me cherche du regard. La classe !
Total, je sais bien qu’il est
content pour moi mais ça fait mieux que de dire : je suis jaloux que j’en
peux plus. Purée, Colette, elle doit rouler sur l’or. Tous les jours, elle change
de robe. Et moi, je ressemble à un misérable avec mon pantalon court qu’il a
appartenu à mon frère ainé, puis à mon frère cadet, et moi, raïeb, même pas j’ai droit de me
plaindre. Mais, la petite du jardin Guillemin, elle me trouve à son goût alors,
qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse (putain, je deviens érudit)
alors qué j’m’en fous si j’suis pas habillé comme un lord ! Capo, un ami,
il est plein de pognon mais Colette, même pas elle le regarde. Je joue pas les
balèzes mais quand même, quand même, ça fait du bien de savoir que les filles
elles font pas des règles de tris pour choisir un garçon. S’il est beau et
musclé (c’est mon cas), il a toutes ses chances même s’il a les poches
orphelines. Ca y est, vous êtes en train
(ou en avion) de vous dire, pour qui y se prend ? Je plaisante en disant
que je suis beau et musclé. Vous êtes lourds ! La plaisanterie et vous,
vous êtes pas passés par la même porte ou quoi ?
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