Quand mon père, il est mort, mon frère aîné, il a pris son rôle au sérieux comme un sacerdoce. Amman, qui c’est qui lui a demandé de jouer au commandant à ce point ? Chaque fois qu’on dérogeait à une règle établie par sa majesté, y nous tapait la leçon comme si qu’on était des bacheliers. Nous autres, Paulo et moi, on était plus chitanes que tapettes alors bien sûr, l’obéissance c’était pas notre tasse de thé ! Et comme ma mère, en nous donnant le jour, elle a ajouté un peu de poudre de perlimpinpin pour qu’on soit intelligent, j’ai pas besoin de vous faire un dessin.Raïeb, Jacky, rien qu’on lui mentait, le pauvre ! Quand j’y pense, je suis rouge de honte et Paulo, il est pivoine.
Si Jacky y rapportait son salaire et Paulo, une misère pour mettreun peu de beurre dans notre couscous (avec du p’tit lait, des raisins secs et des fèves), pour ma part, j’essayais de gagner mon argent de poche en faisant le p’tit yaouled aux voisines du quartier. Qué, je suis pas un vaurien pour demander à ma mère de quoi me payer une place de cinéma, non ! Un litre de lait pour madame Atlan, un Nous Deux pour miss cucu-la-praline, un pain espagnol pour madame Noguès,une soubressade pour monsieur Layani, et le tour est joué. Et quand madame T… m’envoyait faire le marché Nelson, le roi il était pas mon cousin. Je savais que j’aurais droit à un p’tit billet de 5 francs et un bisou en rab. Y faut dire que cette madame T,elle attirait les regards des mâles de 7 à 77 ans avec ses tétés olé, olé qu’on retombait tous en enfance dès qu’on la voyait. Des envies de téter les tétés de madame T, ça nous prenait comme une envie de pipi. Purée, on dirait que j’écris un livre porno…dé ! Eh obligé avec cette femme qui jouait des hanches comme Sophia Loren, qui risquait l’angine de poitrine comme Lollobrigida ou qui avait pas froid aux yeux comme Silvana Pampanini. C’est vrai, nous autres, on savait pas que les filles, elles pouvaient nous attraper au lasso comme Pecos Bill d’une seule œillade. Un seul regard suffit. Même si elle est bichelaouère. Et même si on est un bout d’zan, on se retrouve rouge comme une écrevisse devant un sourire enjôleur. Et si, en plus du sourire, y a deux tétés qui vous font de l’œil, mieux vous allez vous jeter au kassour parce que, vous aurez beau supplier la petite, vous pourrez les toucher qu’avec les yeux.Ada ma canne et mon chapeau !
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Aouah, les filles du quartier, y en a pas bezef qui me plaisent. Y a bien Georgette mais rien que je dis son prénom, je prends mes jambes à mon cou pour battre le record du monde du 5 000 mètres. Ses parents y sont babaos ou quoi ? On appelle pas sa fille Georgette ou alors c’est un Quasimodo ambulant.
Je me vois pas dire à ma mère, à mes frères, à mes amis, à ceux que tu veux : je sors avec Georgette. La honte elle me barbouillerait la figure mieux que Picasso. Ya aussi la petite Carmen qu’elle se prend pour une autre afin d’attirer les regards des loucheurs mais j’aime pas les messrodah qui se la jouent. Messrodah c’est quelqu’une qui croit être la reine d’Angleterre alors que total, elle est la fille de la marchande de poissons. Purée ça défoule d’écrire. Surtout qu’on peut écrire n’importe quoi sur n’importe qui, peu importe ! Des fois, c’est vilain de dire du mal de la voisine mais comme elle sait pas lire…
Purée, ces escaliers du boulevard Guillemin, on dirait l’Himalaya. Surtout quand y fait s’rannah et qu’on est fatigué de naissance comme moi. C’est bizarre le moral hein ? Quand on fait notre guerre des boutons (la bagarre quartier contre quartier) avec la rampe Valée, je grimpe les escaliers quatre à quatre alors qu’aujourd’hui, on dirait que je monte à l’échafaud. Heureusement qu’à dix heures,je vais taper le bain à Padovani, châ châ.Et même si Azrine, y veut pas, j’y vais quand même ! (Azrine c’est un personnage qu’on mêle à toutes les sauces.S’il existait pas, y faudrait l’inventer tellement il a pris une grande place dans notre langage.)
Le soleil, comme un samote, y tape un maximum. Pourtant ma mère elle m’avait prévenu, plus tu attends et plus Kaddour y va s’en donner à cœur joie. Mais, qui c’est qui écoute ma mère quand on a envie de se vautrer dans un lit frais qui pue la sueur ? Qui ?
L’ombre tentatrice du jardin Marengo,elle est pareille à Samia Gamal quand elle tape la danse du ventre. Je me souviens du bassin plein de poissons rouges et des courses effrénées dans ses allées tortueuses de ma première enfance avec mes frères et mes cousins. Le garde au casque colonial qui lui donnait une certaine autorité, il avait beau nous demander de nous calmer, aouah, dès qu’il avait le dos tourné, belote et rebelote. Comme il était pas question d’avoir une bicyclette, une trottinette ou même des patins à roulettes because le manque de flouze, on courait dans les allées à perdre haleine jusqu’à épuisement. Quel beau temps que l’enfance !Se taper les devoirs et accessoirement trouver de quoi se payer le cinéma du jeudi après-midi, voilà les deux véritables soucis d’un oualione de Bab El Oued.Des soucis qui peuvent me pourrir la vie pour peu que la scoumoune elle élise domicile chez moi (tiens ma tante elle s’appelle Élise mais la vérité, ça a rien à voir).
Voilà la maison de la famille Durand coincée entre le boulanger et le marchand de beignets arabes. Purée, ces beignets, dé ! Rien à voir avec les beignets italiens du jardin Guillemin trempés dans le sucre alors que ceux-là, y sont nature. C’est bon à s’en lécher les babines et les moustaches si on en a ! À peine le duvet y m’entoure la bouche que j’me prends pour Errol Flynn. Aouah, j’ai bien le temps de grandir même si les tétés y m’attirent comme les fleurs, elles attirent les mouches à miel.
Tata Lisette, elle m’accueille par un smack tonitruant. Presqu’elle m’avale. Ma cousine, à peine, il est neuf heures, que déjà, elle épluche les haricots d’une loubia que ma tante (et ma mère) elle est championne du monde toutes catégories.
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