A
présent, je suis un chitane qui aime se rouler par terre pour le plaisir de faire
comme les copains. Qui dit des gros mots mais jamais devant des grandes
personnes parce que c’est vilain, qui s’habille à la six-quatre-deux ou la bab allah, qui se fait la raie
bien droite dans la tignasse et qui mollarde sur les chaussures pour les rendre
plus brillantes donc plus neuves, qui traine les pieds pour faire ses devoirs
parce qu’il préfère rester en bas la rue, enfin un vrai chitane qui a pas encore tapé
cao mais qui sait que ça viendra un de ces jours pour imiter les
copains qui lui décerneront le brevet tant recherché de p’tit voyou. Mais
attention, des chitanes gentils comme tout, bien polis avec les adultes, qui
s’essuient leurs mauvaises manières sur le paillasson avant de rentrer chez eux.
Pour pas se faire dobzer par le père et surtout par respect envers la mère.
J’vous dis, on est des amours, des bébesso à notre mère.
Justement,
ma mère elle veut m’acheter un pantalon golf mais la preuve de mon
émancipation, je refuse car je trouve que ça fait torrène bleu pâle, ce
pantalon bouffant à élastique.
--Mon fils, y
fait froid ! Tu peux pas passer tout l’hiver en pantalon court ?
Elle
me tend la perche pour réclamer ce que j’attends depuis un an.
--Et pourquoi
pas un pantalon long ?
--Mon fils, les
pantalons longs, c’est pour les grands. Pas pour un bouznika
comme toi.
--Et tonton, y
peut pas m’en faire un ?
Aussitôt
dit, aussitôt fait. Tonton Léon, y m’a fait mon premier pantalon long, avec des
poches et tout ! Bleu pétrole, comme un lord. Quand je marchais dans la
rue, le roi c’était pas mon cousin et jamais je m’asseyais pour pas faire de
pli. Zarmah,
ça l’abimait.
--Et surtout,
tu le mets pas si tu descends en bas la rue ou j’te tue.
Ma
mère, elle voulait pas taper la syncope. Elle me connaissait (j’allais dire
comme si elle m’avait fait !) alors, elle s’arrêtait pas de me mettre en
garde. Je tentais vainement d’y échapper mais aouah, y avait rien à
faire. Pour bien faire, le pantalon y devait rester dans l’armoire. Au moins,
comme ça, toujours y resterait neuf. Mais un jour, à savoir c’qui s’est passé
dans ma tête, au jardin, les copains y tapaient le match de la décennie.
C’était à celui qui ferait tout pour me tenter. Je veux monter chez moi pour me
changer mais ma mère, elle doit être chez une de ses sœurs pour dire du mal de
la voisine et se taper une bosse de rigolade. Je redescends au jardin et la passion
du foot elle me tape le coup de zouzguèfe pour me prendre
dans ses filets. Moi, couillon comme pas un, je commence à faire des passes, à
jouer les jambes raides pour pas froisser mon pantalon mais tellement, je fais
attention que j’me tape un de ces gadins, j’vous dis pas. Pas assez le genou
écorché mais le pantalon, lui aussi, il a morflé.
Bouh, comment je
fais ? J’me suicide ou je pars à la légion ? Et ouais, mais j’suis
trop jeune ! Je boite. Ma mère, elle va se taper deux syncopes, une pour
mon genou ensanglanté et une pour le
pantalon de tonton Léon. Mes frères, à tous les coups, y vont me tomber dessus.
J’en mène pas large, ni long d’ailleurs ! Je monte chez moi le plus tard
possible. J’ai mal mais je souffre en silence comme un spartiate. Voilà Paulo qui m’engueule comme du poisson pourri.
--Et ta clé,
s’pèce de r’marr ? Où elle
est ?
--Je l’avais
oubliée dans notre chambre ! Sans ça, je m’serais changé.
--Putain,
Jacky, la colère !
--Dis-lui que
je jouais pas au foot, j’sais pas moi, qu’une voiture elle m’a renversé !
--Ouais et que
les indiens ont attaqué le jardin Guillemin.
Y
se moque de moi, hein, ce faux-frère.
Je
rentre derrière Paulo, presqu’en me cachant. Vite, un trou de souris.
--Qu’est-ce
tia, mon fils ? On dirait que tu boites !
L’inquiétude,
toutes voiles dehors, ma mère elle veut voir ma jambe. Et c’est la catastrophe.
Oublié mon genou qui me fait boiter. Oublié le mauvais sang qu’elle s’apprêtait
à dégainer, Oubliés, les bons sentiments style tia mal mon fils !
Instantanément,
elle voit la goffa de mon pantalon. Mon genou, mon sang, ma souffrance - exagérée pour me faire plaindre – elle s’en
tamponne le coquillard (moi et la langue française. Y faudra que mon
instituteur y m’explique la signification profonde de cette expression !).
Rien
que ma mère, elle se lamente sur le pantalon que son frère il a façonné. Elle
le plaint en plus.
--Tonton, le
pauvre, y t’a fait un beau pantalon et toi, même pas tu fais cas de son travail
d’artiste.
Parce
que, ne vous y trompez pas, ses frères, c’est les meilleurs tailleurs du monde
entier. Y en a pas un qui lui arrive à la cheville ! Vous pouvez chercher,
macache un tailleur du pôle sud au pôle nord, macache un tailleur qui cout
aussi bien, aussi vite et aussi souâ-souâ que mes oncles !
Je
pourrais perdre mon sang, ma jambe et tutti quanti, le pauvre tonton Léon, tout
ce travail, il a fait pour rien, archorèche, c’est pêché !
Ah
quand même, elle voit le sang coagulé. Presqu’elle se trouve mal. Vite, Paulo
il apporte du vinaigre pour lui faire respirer. Je la rassure comme je peux.
--C’est rien
man !
Mieux,
je m’l’a serais fermé ! Elle répond
énervée au possible.
--C’est rien,
une paille ! Tu aurais pu te tuer ! Et ce pantalon……enlève-le que
j’vois si je peux faire une reprise.
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