Roland
ravala ses angoisses et tapa la pancha
comme au temps de Padovani, des Horizons bleus ou de la Madrague, les plages
algéroises que fréquentait la bande. A Alger, la fidélité était un maitre mot.
Une bande de garçons choisissait une plage, un café, un stade et s’en tenait
une fois pour toutes. Cela était également valable pour les familles qui
désiraient garder un œil sur les faits et gestes de leurs filles, réputation
oblige !
Paulo
étonnait à plus d’un titre, plaisantant avec les naïades comme au bon vieux
temps de l’insouciance. Lorsque Padovani l’enroulait dans ses vagues pour une
journée de folie et que le trajet
plage-rocher plat décernait un brevet de natation aux yeux des copains
et, surtout, des petites amoureuses.
Aujourd’hui,
les amourettes avaient déserté les plages algéroises pour se perdre dans
les frimas de l’hexagone. Paulo noyait
son désespoir en riant à gorge déployée à la moindre plaisanterie comme s’il
refusait le mal qui le rongeait. Où puisait-il la force de sourire et de
montrer le même visage qu’autrefois ? Ses amis tentaient de ne pas laisser
apparaitre le moindre signe de faiblesse afin que sa détermination ne soit pas
troublée par la morosité de Roland qui ne parvenait pas à dissimuler sa colère.
Richard
tenta de le distraire en lui proposant
de jouer aux têtes comme ils le faisaient jadis lorsque la pluie les
calfeutrait à l’abri d’une entrée de maison. Mais le cœur n’était pas à la fête
dans le cœur de l’américain.
--Allez pour Paulo, mets ton
chagrin dans ta poche et viens lui montrer ton visage de babao !
Qu’est-ce que tu crois, on a tous envie
de se taper la tête contre les murs mais pour Paulo, on n’a pas le choix. Il
veut voir l’insouciance dans nos yeux
pour être heureux. On lui doit
bien ça, putain !
--Excuse-moi……… allez viens on va
les rejoindre dans l’eau ! Proposa Roland en se souvenant de ses folles cavalcades à Padovani.
Des
Aya zoumbo, longs comme le bras, accompagnèrent les plongeons des deux amis qui
éclaboussèrent Victor qui discutait sagement avec une naïade. Aya zoumbo était
le cri poussé par les garçons pour se donner du courage lors d’une rixe, d’un
plongeon, d’une course à pied ou de quelque effort à fournir.
Paulo
qui devenait leur seule préoccupation riait et c’était bien là le principal. Le
bonheur de l’enfance avait pris le virage du malheur mais si le cœur saignait, restait l’amitié du moment à partager avec
Paulo.
Les
cinq amis regagnèrent les serviettes allongées sur le sable.
--Putain, le sable, il est
froid ! Ma parole, il n’est pas
brulant comme chez nous!
--A La Madrague, on pouvait pas
marcher tellement qu’il était chaud! On courait pour pas attraper des
ampoules. Exagéra Victor qui n’était pas à
une approximation près.
--Bardah ! Il était brulant
entre midi et deux heures quand Kadour y tapait un maximum.
--Putain, j’avais oublié qu’on
appelait le soleil, Kadour !
En
Amérique, Roland avait oublié les mille petites choses qui faisaient d’un
enfant d’Alger un être à part mais les
amis étaient là pour lui rafraichir sa mémoire assassinée.
*****
Ils
étaient, là, tous les cinq. Silencieux.
A goûter l’instant présent. Assis face à la méditerranée. Tels des enfants
devant une tendre amie qui berça leur jeunesse. Qu’ils avaient délaissée bien
malgré eux, qu’ils retrouvaient certes, plus froide, moins bleue et moins iodée
mais toujours aussi belle. Maitresse des étés somptueux qui offrait sa nudité à
chaque coin de rue, surgissant de partout
pour rappeler que la ville était
fille de méditerranée. Complice des premiers balbutiements amoureux qui les déposèrent,
un jour de pluie, sur l’autre trottoir de la France.
Ils
profitaient de ces moments d’éternité qu’ils savaient être les derniers. Ultime
saison resplendissante avant l’automne de la solitude et l’hiver de l’inhumaine
séparation. Après le désespoir de l’amputation de la fratrie, viendra le temps
de La cruelle absence.
Profiter
du temps présent, humer l’air pur de l’amitié, taper cinq en douceur, parler
encore et toujours des rencontres au stade municipal ou à Saint-Eugène, évoquer
le jardin Guillemin, sa fontaine et son manège, les andar et venir de l’avenue de la Bouzaréah, pour un appel au
secours déguisé en retrouvailles. Et pour rien au monde, il fallait s’y
soustraire.
Les
amis avaient répondu présent comme un seul homme. Quel plus bel exemple que
cette amitié d’enfance qui sut résister à l’éparpillement du féroce exode pour un dernier été de feu? Il fallait enfouir sa rancœur devant la
maladie et rire comme avant, taper cinq comme avant, se souvenir de l’enfance,
faire comme si l’amitié devenait une ile
déserte où le temps se figeait avant l’ignominieuse vérité. C’est ça, faire
comme si………………….
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