Bobby, le nez au
vent, demanda au taxi de ralentir en longeant la plaine du comté pour humer les
senteurs oubliées sur les champs de bataille. Comme lui sembla belle et sauvage
la bande côtière qu'il sillonna si souvent avec son père et ses frères en se
rendant au domaine vinicole de Winchester. A un embranchement, il fit stopper
le taxi avec une idée derrière la tête. Il paya le chauffeur en n'omettant pas
de laisser un bon pourboire au conducteur noir qui découvrit un sourire ajouré,
regarda autour de lui le décor qui parlait à sa mémoire adolescente. Il
empoigna sa valise et prit le chemin qui descendait vers la rivière de son
enfance. Aucune odeur ne lui était étrangère. Il reconnaissait les arbres, les
clairières, les sous-bois. Rien n'avait changé. Si ce n'était son bras qui
était resté en Europe, il eut pu croire qu'il avait rêvé tant tous les parfums
de sa Virginie natale lui parlaient. Mais le rêve s'avéra fort douloureux. Il
descendit le chemin Paradise jusqu'à la rivière
Shenandoah, s'aperçut que l'absence de son bras le
déséquilibrait sur ce sentier qu'il avait tant de fois emprunté en courant à
perdre haleine dans son adolescence. Il se planta devant un tulipier rougeoyant
dont le tronc semblait dépasser un mètre de diamètre et une trentaine de mètres
de haut. Bobby resta ainsi à contempler cet arbre centenaire, parlant à ce
vieil ami qui fut témoin de ses premiers émois et portait en son écorce tendre,
la trace de deux cœurs enlacés. Shirley, premier amour, baiser de jeunesse et
promesse ensoleillée avant la tourmente. Comment allait-elle réagir devant
le handicap ? Il laissa son regard descendre vers la rivière. Rien n’avait
changé. Il écouta son cœur lui parler de
jadis, ressenti les baisers enflammés de sa belle, revit les baignades
insouciantes de deux gamins et l’instant délicieux qui rencontra le septième
ciel. Surprise miraculeuse qui l’émerveilla.
Bobby ferma un instant les yeux,
fouilla sa mémoire amnésiée pour retrouver le souvenir grisant de cette
étreinte inoubliée.
Alors, ses doigts
caressèrent les cœurs enlacés à l’écorce de son âme, ses lèvres embrassèrent le
vieil arbre rugueux puis sa voix chuchota au vent léger :
--Et oui, mon ami, me revoilà. Abimé......mais
…….vivant !
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