samedi 1 octobre 2016

: ALGER, T'EN SOUVIENS TU ? de Hubert Zakine.



Extrait de mon nouvel ouvrage sur l'enfance

La nuit, elle nous fait les yeux doux mais le quartier, il est noctambule. Ça tchatche sec sur les balcons. Ça tchatche et ça rigole  comme un peuple heureux, comme des gens qui savent rire, pleurer, chanter mais qui ignorent que l’enfer les attend au coin de la rue. Raïeb, même pas y se doutent que les politiciens y vont leur taper un coup de zouzguèfe monumental. Pour le moment, comme sœur Anne, y  voient rien venir. Des vrais laouères avec, à  leur décharge, une propension au bonheur qui frise à la naïveté politique. Je dis leur décharge, total j’aurais pu écrire notre décharge parce que, à moi aussi, sœur Anne, c’est ma cousine. Mais tu crois qu’à treize ans et des poussières, j’vais connaitre les arcanes de la politique ? Même les grands, y comprennent que dalle alors  qu’ils ont pas les mêmes soucis que nous, les petits. 
Quoi, nous on a pas des soucis, nous autres ? Purée, y faut mieux être truch qu’entendre ça ! Trouver du pognon pour aller au cinoche, c’est pas la galère, ça ? Faire ses devoirs pour suivre des études uniquement pour que notre mère elle se fasse pas un kilo de mauvais sang, des études qu’on sait à l’avance qu’elles feront tchouffa,  se ronger les ongles jusqu’au sang en songeant au match ASSE-Gallia de dimanche prochain, se taper les commissions, c’est pas des soucis, ça aussi ? Allez, va ! Mieux je pense à Julie, va ! Et ce badjej de Roland, qui reste au balcon rien que pour déblatérer sur la fille qui l’a pas calculée. Qu’est-ce tu veux que j’y fasse si mon regard de velours y fait des ravages ? Oh, purée, à savoir si il est pas jaloux ? Aouah, s’il était suspicieux comme Rock Hudson dans un film où Doris Day, elle lui joue un cinéma pas possible, il me laisserait pas copier en classe. Y mettrait sa main pour cacher son interrogation. Purée, ces interrogations, dé ! Quel cataplasme ! C’est vrai, les études, ce s’rait bien  si les profs y nous obligeaient pas à tout savoir par cœur. Qué j’m’en fous d’Henri IV et de sa poule au pot ? Je préfère, et de loin, le boktof de ma mère.

Allez, va, le soleil il a envie d’aller taper une sieste jusqu’à demain matin et moi, je dis ciao aux copains du quartier. Je rentre dans notre chambre, purée, la chaleur ! On se croirait au bain maure de la rue des Gétules malgré les fenêtres ouvertes. Ma mère elle m’oblige à passer à la salle de bain pour l’inspection  comme quand j’étais petit. Bardah, c’est exagéré mais ma maman, c’est une maman comme toutes les mamans, mais voilà, c’est la mienne…………



Voilà, on est demain. Après une nuit passée à transpirer dans nos lits en sueur, ça sent le fauve. Pour pas changer, je suis le dernier à me lever. Mes frères, raïeb, déjà y sont habillés. Pareils aux hébreux au temps des pharaons, y jouent les esclaves. Et dire, que moi aussi, je vais suivre le chemin de l’esclavage. Bouh, bouh, bouh ! On aurait pas pu être millionnaires, larchoreche. On aurait pu si la maladie de mon père elle s’en était pas mêlée. Tiassardo ! Et dire que mon père, il avait un atelier de confection, avenue Durando. Y travaillait pour l’armée. Son étoile elle brillait au firmament de la réussite et patatras, les artères bouchées et voilà mon père  qui lâche la main de ma mère et de ses trois garçons. Comme elle dit ma mère, y en a qui mettent la main dans la r’lah et y trouve de l’or, nous autres, même si on met la main dans un coffre rempli d’or, on se retrouvera toujours  une main devant et une main derrière. On aura jamais le cul bordé de nouilles. Allez va, cessons les jérémiades.

Si ma mère, elle a pas besoin de moi, j’vais taper le bain à Padovani. Roland à tous les coups y doit encore dormir aussi, même pas je vais l’attendre.

--Man, tia besoin de moi, ce matin ?

--Pourquoi mon fils ?

--Man, pas pour faire une belote ! Pour les commissions !

--Hou, mon fils, tu t’es levé de la jambe gauche ou quoi?

Mon frère ainé y s’en mêle.

--J’vais t’en donner un, ça va être vite fait !

J’me rebelle comme je peux parce que le frère ainé, c’est sacré.

--Qué j’ai fait ?

Ma mère, elle est la mansuétude même. Sans arrêt, elle arrondi les angles. Même si ya pas d’angle !

--Tu vas où, mon fils ?

Des fois que vous auriez pas compris, j’suis son fils, à ma mère ! D’ailleurs, j’ai plein de frères et de sœurs parce que tous les enfants du quartier c’est mon fils par-ci, ma fille  par-là, pour ma mère. Les femmes normalement elles les appellent par leur prénom mais pas ma mère. Comme elle dit toujours : les enfants, c’est du pain béni!  Elle a un cœur trop grand pour ses trois garçons.

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