Dans cet
ouvrage, j'ai volontairement utilisé, telle une rengaine le terme
"français".
Je l'ai mêlé à toutes les sauces, à toutes les phrases. Pour un oui, pour un non.
Je l'ai mêlé à toutes les sauces, à toutes les phrases. Pour un oui, pour un non.
J'ai
également commis à son propos, nombre de répétitions.
Pourquoi
? Pour bien expliquer l'importance que revêtait ce mot dans ma vie
et dans celle de mes frères d'Algérie. La politique et les
politiciens, les métropolitains et leur égocentrisme, de Gaulle et
ses mensonges m'ont amputé de ma fierté française.
J'abandonne
le terme français puisque je suis l'Algérie et qu'elle a cessé
d'être française.
Aujourd'hui,
je ne revendique plus que les identités israélites et pieds-noirs,
délaissant celle que m'offrit ma naissance sur le sol jadis
français.
Ma naissance française. 25 mai 1944.
A cette époque, l'Algérie c'est la France. Une France en guerre. Une France libre. La plupart des hommes en âge de porter les armes défendent la patrie en Italie en Tunisie en Libye ou en métropole. En mai 1944, mon père se trouve à Drancy antichambre de Dachau. Grâce à l'habileté manœuvrière de compagnons d'infortune il s'échappe de ce camp ou transitèrent des milliers de juifs en partance pour les camps de la mort. La paix revenue, il rentre avec ses frères d'armes en Algérie, fier d'avoir défendu la patrie en danger, heureux de retrouver son épouse ses trois enfants, sa maison, sa ville natale.
Deux ans
après, il meurt atteint d'un mal incurable. L'épisode de mon père
est bref. Trop bref. Mais orphelin de sa présence à l'âge de trois
ans, je ne peux me souvenir que de son absence.
Absence
que ma mère s'efforça de combler à force d'amour, de douceur et de
travail.
Mon
identité nationale ne fut révélée comme pour tous les enfants du
monde par mon entrée à l'école maternelle.
En 1949,
la fierté d'être française éclaboussait l'Algérie tout entière,
la recouvrait d'un immense drapeau tricolore. La patrie vaincue avait
fait appel à ses fils nés de l'autre côté de la Méditerranée
qui répondirent comme un seul homme à cette mobilisation générale.
Musulmans et européens mêlés dans le même éloge, la métropole
reconnaissante leur adressa un vibrant hommage par la voix du général
De Gaulle en personne. Et ces enfants de la mer et du soleil en
tirait une gloire nationale, locale et originelle.
En
participant à la reconquête nationale, le petit-fils d'étrangers
comme son aïeul de 1870, hérité de plein droit de l'identité
française, ne serait-ce que par le sang qu'il ne manquât pas de
verser. Cette reconnaissance qu'il revendiquait sans en
jamais recevoir l'absolue confirmation lui fut accordé à son retour
triomphal sur sa chère terre d'Algérie.
Grandir
dans cette atmosphère de fierté française, baigner mes premières
années dans les trois couleurs de la France éternelle me révéla
un sentiment dont je ne soupçonnais pas la trajectoire future : le
patriotisme.
De cette
époque, j'ai retenu la leçon suivante : le degré de patriotisme
chez un individu est inversement proportionnel à l'âge où on le
lui a inculqué. Plus le sujet est jeune, mais ce sentiment
nationaliste sera dans sa tête et dans son cœur. Plus
difficile lui paraîtra la séparation, la rupture avec sa patrie.
1949
Ma maîtresse d'école écrit à la craie : « Alger », poursuit à la craie blanche :
«
République » et il termine en rouge « Française ». Alger
république française.
Durant
toute l'année scolaire, cette affirmation tricolore nous aveugla.
Nous ne pouvions lever la tête sans qu'elle ne nous sautât aux
yeux. Elle enroba notre insouciance de papier bleu, blanc, rouge que
notre maîtresse ravivait chaque fois que les couleurs se délavaient.
Si l'on nous avait marqué au fer rouge, nous n'en aurions gardé le
souvenir aussi vivace.
Puis ce
furent nos ancêtres les gaulois, les plaines verdoyantes, les monts
enneigés, Louis XIV et Charles le téméraire, Marie-Antoinette et
la révolution de 1789.
Nous
étions des Français comme ceux de métropole.
Personne
ne se posait la question de savoir si le parisien, le lillois ou le
marseillais était plus français que l'Algérois, l'Oranais le
Constantinois.
Un homme
ne s'interroge pas sur sa certitude d'être un homme. Il le sait une
fois pour toutes. À la vie, à la mort.
Un
Français non plus, il est français, un point c'est tout. Comme tous
les autres Français.
La seule
différence réside dans son accent ou sa couleur de cheveux. Dans sa
religion aussi.
Mon appartenance à la communauté juive
Dans ma
famille, à l'école, au jardin, j'entendais souvent prononcer le mot
juif. Ce terme m'a poursuivi inexorablement jusqu'au jour où je me
rendis compte qu'il allait me prendre par la main et le cœur pour
m’emmener au bout du voyage de la vie.
Que je
faisais partie, dès ma naissance, et par ma naissance, de ce que
l'on a coutume d'appeler la nation juive. Israël ! Quel joli nom !
Je suis israélite, je suis juif.
--Maman
je suis juif ou je suis israélite ?
--C'est
la même chose mon fils.
--Je
suis français aussi. C'est la même chose ?
A-t-on
idée de poser pareille question à cinq ans !
--Français
ça veut dire être né en France.
--Mais
je suis né en Algérie !
--Oui
mais l'Algérie c'est un morceau de la France
--Ah
bon.
--Et
juif, ça veut dire que tu es de religion juive
--Qu'est-ce
que c'est la religion ?
--La
religion c'est la croyance d'un peuple pour un dieu.
--Et
notre Dieu il est juif ou il est français ?
La
pauvre ma mère.
--Il est
juif mais il est présent pour tout le monde, mon fils. Pour les
juifs et pour les autres.
Je dois
avouer que je n'avais pas tout compris mais deux certitudes ne me
quittèrent plus. J'étais juif et j'étais français.
Les
juifs, hier très nombreux dans la casbah d'Alger, s'étaient
déplacés massivement dans les nouveaux immeubles de Bab-el-Oued.
Aussi, on retrouvait une très importante communauté israélite au
sein du populeux quartier de la porte de la rivière. À l'école
Rochambeau, mes camarades de classe s'appelaient Lévy, Cohen ou
Boisis. Nos parents, jadis écoliers rue de Toulon ou du Soudan,
usèrent leurs fonds de culottes dans cette casbah judéo arabe.
Aujourd'hui, dans ce quartier modernisé à l'européenne, ouvert sur
la mer et la joie de vivre, ils nous transmettaient le relais de leur
amitié d'autant plus aisée à assumer, qu'en Algérie la rue et les
jardins étaient le domaine sinon exclusif, du moins privilégié des
enfants.
Dès
l'âge de cinq ans, nous nous accaparions de toutes les aires de jeux
possibles ; les entrées de maison, les ruelles, les squares, les
places, les escaliers très nombreux à Alger constituaient un
tremplin idéal à la conquête de l'amitié.
Une
amitié aussi facile à récolter que le muguet au mois d'avril tant
le peuple d'Algérie secrétait de joie de vivre dans laquelle
l'amitié prend racine et puise l'énergie nécessaire à son
développement.
Qu'ils
s'appellent Pappalardo, Bensimon, Nadal ou Hamad, nous leur
offriions notre affection sans retenue si leur comportement le
mériter.
1950
Les
échos des difficultés que rencontrait le jeune État hébreu à
s'établir dans la paix sur sa terre ancestrale me furent révélés
un soir de décembre. Chaque année, en présence de toute la
famille, nous organisions l'asguère en mémoire de mon père. Le
rabbin de Bab-el-Oued nous fit part de ses inquiétudes quant à
l'existence de ce nouvel État du Moyen-Orient. Harcelés, de tous
côtés par leurs voisins arabes, les Israéliens, pensait- il ne
pourraient résister longtemps.
Du haut
de mes six ans j'enregistrais et retenais deux choses : Israël était
un pays que les Arabes voulaient détruire.
Comment
ai-je su que Kader était arabe, je ne saurais comment le dire mais
un fait était sûr, je le savais. J'étais dans l'impossibilité de
différencier un juif d'un catholique mais je reconnaissais l'arabe.
Sans doute en raison de ma fréquentation assidue de la rue marengo,
artère principale de la Casbah où résidait une tante ainsi que de
nombreux descendants
de juifs ibériques chassés de leur terre natale espagnole par
l'inquisition de 1492.
Dans
cette grande zébrure qui coupait en deux la vieille ville, je pus
constater que les hommes arabes portaient la chéchia ou le turban et
leurs femmes cachaient leur visage derrière une voilette et leur
corps sous un haïk. Quant aux enfants, ils marchaient la plupart du
temps pieds nus. Je notais également que les gosses musulmans qui
habitaient Bab-el-Oued ressemblaient en tous point à leurs camarades
pieds-noirs. Ils portaient alors les mêmes vêtements, les mêmes
mévas en été et les mêmes pataugas l'hiver que le catholique des
messageries ou le juif de l'avenue de la Marne.
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