MARIE ET RICHARD
Marie devait se rendre à l'évidence: Saint Cyr lui
manquait. Et plus que Saint Cyr, l'écrivain
lui manquait. Elle ignorait pour quelles raisons elle s'était attachée à
cet auteur mais il lui fallait se rendre à l'évidence, elle se languissait de
ne pas le voir, de ne pas discuter avec lui et ne pas entendre son accent qui
chantait si bien la nostalgie. Elle n'était pas amoureuse. Elle le savait tout
au fond d'elle-même. Il était plus âgé
et, même si elle se défendait de prendre en compte le handicap,
elle ne pouvait l'ignorer. Non, elle
n'était pas amoureuse mais elle se sentait bien auprès de lui sans en connaître
la raison. Bien sûr, les similitudes avec son paternel étaient flagrantes mais
son intérêt allait bien au-delà. Il lui fallait en avoir le cœur net. Elle
décida de passer la journée sur la plage qui longe la promenade rose en
espérant que le beau temps le ferait sortir. Marie arriva sur le coup de onze
heures. Il était là, sur son banc, seul, attendant que le temps s'écoule,
regardant au bout de l'horizon. Attiré par cette présence féminine qui lui fit
détourner le regard, il reconnut sa correctrice. Elle était belle et pimpante,
comme chaque fois qu'elle apparaissait. Semblant se promener sur un nuage, elle glissait plus qu'elle ne marchait. Sa
féminité pour seule parure. Elle était toute à la fois la femme qu'on avait
envie d'aimer, la petite fille qu'on avait envie de protéger et la jeune fille qu'on suivrait
jusqu'au bout du monde. Mais pour avoir ces prétentions, faudrait-il encore pouvoir marcher! Tous les
jeunes hommes de la plage lorgnaient de son côté lorsqu'elle s'assit sur le
banc. En guise de bonjour et tout
naturellement, elle embrassa Richard sur
les joues. Quoique surpris, il reçut ces
baisers comme une marque d'affection et rien de plus.
--Bonjour ma belle
! Vous êtes seule ?
--Oui, mais je
savais que vous seriez là!
--Vous êtes bien
sûre de vous ; j'aurais pu être en train de faire un marathon ou un match de
foot!
Richard jouait la partition de l'autodérision mais Marie,
en fine interlocutrice, ne releva point cette bouffonnerie qui, sans doute, lui
coûtait bien plus qu'il ne le laissait paraître. Comme tous les solitaires, il
se contenta d'écouter avant de trouver son rythme de croisière et ne plus dire
de bêtises. Cela fut d'autant plus facile avec Marie, fille prolixe s'il en
fut. Elle testait ses sentiments auprès de cet homme handicapé qui avait l'âge
de son père. Cet homme qui vivait dans le passé au cœur de ses souvenirs. Cet
homme qui l'émouvait et lui parlait du pays qui avait ensorcelé son paternel.
Cet homme mûr lui plaisait mais il portait les séquelles de sa terrible attaque
cardiovasculaire qu'elle ne pouvait ignorer. Malgré tout, elle posa quelques
questions qui jetèrent le trouble dans l'esprit de Richard.
--Qui s'occupe de
vous, pour le ménage, pour les courses, pour votre toilette, pour votre
linge...............
--Une dame d'une association..........mais
ça n'a pas grand intérêt.
S'il avait voulu couper court à toute introspection sur
sa vie personnelle, il n'aurait pas répondu autrement. Marie n'en tînt pas
compte et continua à tenter de cerner son entourage familier.
--Et vous n'avez
personne qui vient vous voir ? Pourtant, les pieds noirs sont très famille ! Je
me trompe ?
-- Non mais je ne
voulais à aucun prix dépendre de quelqu'un et surtout pas de ma famille !
--Si je suis
indiscrète, n'hésitez pas à m'envoyer sur les roses !
Encouragée par le silence de Richard, elle poursuivit :
--Pourquoi surtout
pas votre famille !
--Parce que je n'ai
pas voulu être une plaie pour eux. Mes frères m'ont proposé de remonter sur
Paris mais j'ai prétexté le suivi de mes médecins. Vous savez, quand on ne peut
plus rien faire sans demander de l'aide, les proches ont tendance à vous
couver. Ils auraient été trop sollicités, non par moi, mais par leur affection.
Aussi, j'ai préféré gérer mon handicap, seul comme un grand! La seule personne
qui aurait pu m'accompagner était ma compagne mais elle a fui le pestiféré
qu'elle voyait en moi. Voilà, les raisons toutes simples qui m'ont fait choisir
la solitude.
--Mais votre
compagne vous a abandonné du jour au lendemain ?
--Non mais elle a
déposé les armes, tout simplement ! Elle a sans doute eu peur de ne pas être à
la hauteur de ce qu'elle allait devoir supporter! Toujours est-il que je me suis retrouvé seul
au moment où j'avais le plus besoin d'elle. Alors, après moi, le déluge !
Plus il parlait et plus elle constatait
l'injustice. Et plus, elle se rapprochait de cet homme qui jouait
l'indifférence devant l'imprévisible et
inadmissible dérobade. Cela le rendait
plus fragile aux yeux de Marie qui comprenait bien au-delà des apparences. Cet
homme souffrait en silence.
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