jeudi 21 mai 2015

extrait de "MA MERE, MES TANTES, L'ALGERIE ET MOI" de Hubert Zakine (à paraitre)


L’Algérie s’enfonçait chaque jour un peu plus dans le gouffre aux chimères. Les journées des barricades n’avaient servi à rien ; juste à conforter les filles Azoulay à fuir avant la curée. 

Le putsch des généraux avait fait long feu. Ma mère en femme d’affaire mena le combat de notre survie avec discernement. Un soir, elle m’annonça notre prochain départ du pays de nos ancêtres et les démarches pour rapatrier le corps de mon père.

Le couperet était tombé sans que j’aie mon mot à dire. En maîtresse femme, elle avait tranché. L’Algérie c’était fini. La retraite pouvait commencer.

Elle avait suivi les conseils de son cousin et soudain prit le taureau par les cornes pour décider de l’avenir de ses sœurs. Plus de droit d’ainesse, plus de disputes pour de faux, plus de désaccords, plus de discussions inutiles. Le temps de l’action était venu et ma mère m’étonnait un peu plus de jour en jour.

Il était certain que les filles Azoulay n’étaient pas des pigeons voyageurs. Elles n’étaient jamais sorties d’Alger. Leurs maris avaient bien eu des velléités de partir en vacances en métropole.

--Mieux je meurs !  Répondaient-elles avec ironie.

Trois femmes issues de la casbah judéo arabe emportées dans le tourbillon de l’indépendance de leur pays, de leurs habitudes et de leur cimetière où reposaient leurs chers maris, cela leur semblait l’ultime naufrage. Heureusement, le cousin avaient promis de les seconder le moment venu. Hélas, le moment n’était pas loin où l’hallali jetterait les français d’Algérie sur l’autre bord de la méditerranée.

Quant à moi, j’avais cassé avec mon béguin qui ne m’inspirait plus. Seuls m’intéressaient la destination de mes amis. Comment survivre sans leur présence rassurante à mes côtés ? Comment habituer mon regard à ne plus voir mon environnement familier, ma ville, mon quartier, mes amis ? Comment refaire une vie après cette transplantation sans anesthésie vers un ailleurs inconnu ?

Tata Rose montrait l’image définitive de la fatalité orientale. Elle n’avait ni le goût, ni la force de remettre en question cette vérité première pour une femme juive de la casbah d’Alger que la vie avait violenté.

Et si, là était la solution ? Ne pas se poser en victime ? Se laisser porter par le vent de l’indépendance et vogue la galère.

Comme répétaient les sœurs Azoulay : demain le bon dieu, il est grand !

Malgré la trahison des hommes politiques, malgré la mort qui a frappé la famille, malgré la perte de mes repères, ne pas baisser les bras, pour moi et pour ma mère. La vie m’attendait avec ses bourrasques, ses contradictions et ses bonheurs illusoires. Paul Anka ne chante-t-il pas « les filles de Paris sont les plus jolies du monde » ! 
Paris, Cannes, la Côte d’Azur : J’arrive.

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