L’Algérie
s’enfonçait chaque jour un peu plus dans le gouffre aux chimères. Les journées
des barricades n’avaient servi à rien ; juste à conforter les filles
Azoulay à fuir avant la curée.
Le
putsch des généraux avait fait long feu. Ma mère en femme d’affaire mena le
combat de notre survie avec discernement. Un soir, elle m’annonça notre
prochain départ du pays de nos ancêtres et les démarches pour rapatrier le
corps de mon père.
Le
couperet était tombé sans que j’aie mon mot à dire. En maîtresse femme, elle
avait tranché. L’Algérie c’était fini. La retraite pouvait commencer.
Elle
avait suivi les conseils de son cousin et soudain prit le taureau par les
cornes pour décider de l’avenir de ses sœurs. Plus de droit d’ainesse,
plus de disputes pour de faux, plus de désaccords, plus de discussions
inutiles. Le temps de l’action était venu et ma mère m’étonnait un peu plus de
jour en jour.
Il
était certain que les filles Azoulay n’étaient pas des pigeons voyageurs. Elles
n’étaient jamais sorties d’Alger. Leurs maris avaient bien eu des velléités de
partir en vacances en métropole.
--Mieux je meurs !
Répondaient-elles avec ironie.
Trois
femmes issues de la casbah judéo arabe emportées dans le tourbillon de l’indépendance
de leur pays, de leurs habitudes et de leur cimetière où reposaient leurs chers
maris, cela leur semblait l’ultime naufrage. Heureusement, le cousin avaient
promis de les seconder le moment venu. Hélas, le moment n’était pas loin où
l’hallali jetterait les français d’Algérie sur l’autre bord de la
méditerranée.
Quant
à moi, j’avais cassé avec mon béguin qui ne m’inspirait plus. Seuls
m’intéressaient la destination de mes amis. Comment survivre sans leur présence
rassurante à mes côtés ? Comment habituer mon regard à ne plus voir mon
environnement familier, ma ville, mon quartier, mes amis ? Comment refaire
une vie après cette transplantation sans anesthésie vers un ailleurs
inconnu ?
Tata
Rose montrait l’image définitive de la fatalité orientale. Elle n’avait ni le
goût, ni la force de remettre en question cette vérité première pour une femme
juive de la casbah d’Alger que la vie avait violenté.
Et
si, là était la solution ? Ne pas se poser en victime ? Se laisser
porter par le vent de l’indépendance et vogue la galère.
Comme
répétaient les sœurs Azoulay : demain
le bon dieu, il est grand !
Malgré
la trahison des hommes politiques, malgré la mort qui a frappé la famille,
malgré la perte de mes repères, ne pas baisser les bras, pour moi et pour ma mère.
La vie m’attendait avec ses bourrasques, ses contradictions et ses bonheurs
illusoires. Paul Anka ne chante-t-il pas « les filles de Paris sont les
plus jolies du monde » !
Paris, Cannes, la Côte d’Azur : J’arrive.
Paris, Cannes, la Côte d’Azur : J’arrive.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire