"Le royaume de Bab-el-Oued" par Hubert Zakine
Pour
ouvrir cette page sur la communauté d'Alger, ce texte de Hubert Zakine
s’imposait , tant il est le reflet de ce mode de vie si particulier dans
ce quartier populaire d’Alger, où ses habitants sont arrivés à faire « la synthèse d’un brassage communautaire qui boit à la source vive de la Grande France. »
Je remercie Hubert Zakine de nous avoir permis de publier ce texte.
J.K 1er juin 2014
Le « royaume » de Bab-el-Oued par Hubert Zakine
Extrait de son livre « IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED »
CHAPITRE QUATRIEME : VIE ET MŒURS - LES QUARTIERS
Le « royaume » de Bab El Oued est un quartier d’Alger. Une ville dans la ville, une terre étrangère, exotique, que les « étrangers », c’est ainsi que l’on nomme ici les habitants des autres quartiers, abordent avec un rien d’appréhension envers ces jeunes gens sympathiques mais ô combien exubérants qui ne se déplacent qu’en bande et jonglent avec le verbe haut et le rire tonitruant. Venir s’encanailler dans le ventre des cafés où de jolies espagnoles dévoilent leurs jambes fines et nerveuses au son de flamencos endiablés, passer une soirée dans un de ces bars enfumés où les effluves d’anisette saoulent autant que les mélodies improvisées sur des guitares nostalgiques, c’est un passeport d’intrépidité pour les gens de la haute ville. C’est le droit de se « tartariniser » aux yeux des autres et de flatter sa propre image dans le miroir aux alouettes. C’est également la face cachée de sa propre vie, l’homme qu’il aurait pu devenir si son horizon avait flirté avec Bab El Oued, si ses aïeux avaient adopté le faubourg en posant le pied sur la terre d’Algérie. Bien qu’il n’ait pas, par précaution sans doute, débordé de l’épine dorsale du quartier, il pense en connaître toutes les facettes. Ce qu’il ignore c’est que Bab El Oued ne se reconnaît pas dans l’exclusivité. Il n’est ni italien ni espagnol. Il n’est pas plus juif que maltais. Il n’est pas musulman, corse ou alsacien lorrain. Mais il est tout cela à la fois. La synthèse d’un brassage communautaire qui boit à la source vive de la Grande France. Le but suprême de ces gens venus de tous les horizons est de servir la mère-patrie tout en se servant de ses valeurs républicaines afin de mettre des couleurs à leur existence monochrome. Mais cette unité de vue n’empêche pas les différences et cette volonté de se fondre dans un moule commun français n’interdit pas le désir de nouer des liens plus étroits avec des gens de même origine. Bab El Oued fort de ses cent mille âmes ne peut éviter des regroupements par affinités géographiques ou affectives. Telle famille napolitaine prévient d’autres natifs du sud de l’Italie de la disponibilité d’un appartement et l’immeuble chante bientôt Claudio VILLA ou Beniamino GIGLI. Telle « tribu » israélite s’empare d’une rue et aussitôt les oncles, les tantes, les cousins, les cousines guettent les appartements ou les locaux commerciaux libérés afin que Bab El Oued chante la casbah judéo-arabe par les voix de Lili LABASSI, Line MONTY ou Lili BONICHE. Pareil pour les Espagnols qui rassemblent alentour de la Basseta tout ce que Bab El Oued compte d’hispaniques qui se gargarisent de la voix chaude et sensuelle de Sarita MONTIEL et ne manquent aucun film de Luis MARIANO et Carmen SEVILLA. Ajoutez un amour inconsidéré pour le lieu de naissance, le quartier, la rue, la maison où l’on a ouvert les yeux et passé sa jeunesse que s’éloigner de cinquante mètres de « son chez soi » frôle l’utopie. A Bab El Oued, on est d’une rue, d’un immeuble, voire d’un appartement qui demeure la « propriété » de la famille tant que l’un de ses membres le désire. Cela ne souffre aucune discussion auprès de quiconque. Locataire, le Bab El Ouédien est propriétaire de son logement, de son faubourg, de son café, de son équipe de football, de ses amitiés. Ce sentiment de propriété découle de l’amour viscéral qu’il porte à ce village transformé en « royaume » par ses aïeux.
Plus qu’ailleurs, le faubourg est fier de ses différences. Ses enfants les entretiennent par la macaronade, la tafina ou la paella. Par le bleu de chine, le sarouèle ou la relila. Dans la cuisine comme dans le vêtement, dans la musique comme dans le choix de ses équipes de sports favorites. Le Réal de Madrid affronte l’Inter de Milan, BAHAMONTES dame le pion à GIMONDI, et les antagonismes pacifiques jouent les prolongations entre les fils d’espagnols et d’italiens d’Algérie. Mais ces joutes oratoires disparaissent lorsque s’attaquent aux monstres sacrés étrangers, les représentants français. Le Stade de Reims ou Louison BOBET recueillent alors tous les suffrages. Quant à Robert COHEN, Alphonse HALIMI, Pierre DARMON ou Alfred NAKACHE, leur double appartenance juive et pied noir rallient toute l’Algérie. Au fil des années, les « étrangers » deviennent des français à part entière, « pensent » français et parlent français.
Bab el Oued vu depuis Notre Dame d’Afrique
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