CHAPITRE
DEUXIEME
VIE
INTELLECTUELLELA POLITIQUE
Bab
El Oued naît de la douleur des hommes. Ceux qui l’ont bâti sont
de courageux besogneux débarqués de la misère méditerranéenne.
La détermination pour tout bagage, ils sont des proies faciles pour
les marchands de bonheur idéologique. Le Parti Communiste s’emploie
activement à la politisation des masses laborieuses qui envahissent
le faubourg. L’opportunisme est le premier atout de ces
missionnaires du langage et de la propagande. Si certains se laissent
séduire autant par conviction que par paresse d’esprit, la
majorité rejoint le mouvement pour les festivités organisées par
le parti. Les cellules se fondent par communautés. Les Espagnols par
antériorité et par l’arrivée des anti-franquistes en 1936, les
juifs par leur culture de souffrance et au milieu, les Italiens
suivent l’évolution avec circonspection et, il faut bien le dire
avec un certain détachement. Les transalpins sont des travailleurs
et des jouisseurs. Le corps leur semble plus important que
l’intellect. Le sport devient leur champ d’investigation, leur
parti, leur famille. Il n’empêche, le Parti Communiste telle une
toile d’araignée tisse des liens avec la population de Bab El Oued
au travers de ses cafés, de ses ateliers et de ses usines qui
foisonnent dans le faubourg. La jeunesse n’est pas oubliée et les
sociétés sportives ou musicales voient débarquer des théoriciens
de la politique. Chaque adhérent se doit de recruter dans sa famille
et dans le cercle de ses amis. La conviction profonde et sincère de
quelques uns entraîne un engagement sans condition et sans
restriction. Des corporations comme la médecine et l’enseignement
profitent de l’aura qui les nimbe pour se faire le relais du parti.
Certains perpétueront leur engagement par delà l’indépendance du
pays. Tel ce professeur de médecine, Raphaël Z….., ami de TROTSKY
rencontré lors d’une réunion parisienne, qui fut et demeura un
fervent communiste algérien jusqu’à sa mort en 1974, date à
laquelle il dirigeait une importante clinique d’ALGER.
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Bab
El Oued la rouge perd le futur prix NOBEL en septembre 1939, une
quinzaine de jours après la déclaration de guerre. Le journal
reparaît le 24 février 1943 et poursuit ses activités jusqu’en
septembre 1955.
Mais
Bab El Oued cesse de penser communiste avec les premiers attentats
lorsque les commentaires des journalistes d’ALGER REPUBLICAIN se
déclarent ouvertement, mais avec des mots choisis, contre la
présence française et par conséquent pour l’indépendance.
Les
Algérois, à l’instar de Monsieur JOURDAIN qui faisait de la prose
sans le savoir, font de la politique sans en avoir le moindre doute.
En effet, contrairement à une idée reçue, ces français demandent
simplement à vivre en paix dans un pays qui dit haut et fort que la
France s’étend de Dunkerque à Tamanrasset. Mais ils ignorent que
crier une évidence reprise par les hommes politiques de tous bords
leur est interdit. Cela correspond pour certains à une déclaration
de guerre des nantis contre les damnés de la terre.
Le
peuple de Bab El Oued, dans son immense sagesse, applique à la
lettre le programme des gens heureux. Entre le travail, la famille,
le café, le stade et la plage, il a de quoi trouver belle la vie.
Même au plus fort des attentats urbains, il témoigne d’une
capacité à rebondir que l’étranger prendrait pour de la
désinvolture voire de l’insensibilité. Il s’agit simplement
d’une propension au bonheur héritée des parents et d’un
environnement immédiat qui répercute une volonté indomptable de ne
pas se laisser abattre. Rire avant de pleurer, telle est la devise de
cette race nouvelle.
Bab
El Oued la rouge n’existe plus. Bab El Oued la patriote lui redonne
des couleurs. Le 13 Mai 1958 l’habille de bleu-blanc-rouge. Ses
balcons fleurissent de drapeaux tricolores et ses enfants entonnent
la Marseillaise et les Africains d’une seule et même voix.
Mais
ils ignorent que des politiciens ambitieux dupent leur incrédulité.
Sous couvert de ramener au pouvoir le Général De Gaulle, ils se
servent sans vergogne du drame algérien et du patriotisme des pieds
noirs de toutes confessions et de toutes origines. Bab El Oued
bascule dans le camp gaulliste avec la candeur qui l’a toujours
habitée. Sa seule circonstance atténuante réside dans la naïveté
des politiques et des militaires, pourtant rodés aux manigances et
autres turpitudes des gens de pouvoir, qui n’auraient rien vu
arriver. Bab El Oued déchirée tombe dans les bras de l’OAS après
le blocus inhumain qui lui est infligé sur ordre de l’Elysée.
Pour la première fois depuis le début des hostilités en 1954, les
avions et les chars qui n’opérèrent jamais dans la casbah entrent
en action contre des français qui commettent un crime d’amour
envers la France. Coupables de trop aimer la mère-patrie, les Bab El
Ouédiens subissent les foudres du pays « beau, grand et
généreux » tant vanté par les tenants de la conquête. Les
ancêtres de ces fils d’immigrés crurent sur parole leur
profession de foi. Ils eurent raison! Autres temps, autres mœurs, le
vieil adage « les paroles s’envolent, les écrits restent! »
s’ancre définitivement dans la mémoire d’un million et demi
d’individus alors, qu’au large du bateau qui les emporte vers un
ailleurs intemporel, se déracine l’arbre de vie des pieds noirs,
Bab El Ouédiens compris.
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