de HUBERT
ZAKINE
AU
RENDEZ-VOUS DES ALGEROIS
«Au Rendez- vous des Algérois» Un bistrot parisien de la rue d’Hauteville dans le dixième arrondissement où les consommateurs perpétuent les années égarées sur l’autre rive de la Méditerranée. Le bouche à oreille avait si bien fonctionné que tous les orphelins d'Algérie s'y retrouvaient pour se retremper dans l'ambiance des cafés de là-bas.
Dans
des disputes de bonne santé, les tablées de belote, rami ou poker
jouaient les prolongations de leur enfance interrompue.
Richard
Abergel tentait de
convaincre Victor Boisis son
ami d’enfance de rester célibataire.
--Mais
pourquoi tu veux te marier, Tu es pas bien comme ça?
--Et
non, je suis pas bien! Tu crois que si le célibat, c’était le
paradis, je voudrais me marier? Quand le soir, tu es tout seul face à
ton assiette devant la télévision, tu aimerais bien qu’une
Brigitte Bardot, elle te mange dans la main!
--Ouais
mais n’oublies pas que ta Brigitte Bardot, elle t’empêchera de
faire ce que tu veux, quand tu le veux et avec qui tu le veux! Comme
elle dit ma mère, en te mariant, tu sais ce que tu perds, mon fils,
tu sais pas ce que tu trouves! Une femme, même si tu l’aimes, par
moments, elle va te casser les bonbons! Regarde Roland, même plus y
va au stade parce que ça déplaît à madame! Qui mieux que nous les
célibataires; on n’a de compte à rendre à personne; crois-moi,
ça vaut tout l’or du monde, fils!
--Ouais
mais si c’est le bagne, tu peux me dire pourquoi y a tant de
mariages?
--Tant
que tu es, demande-toi aussi pourquoi il y a tant de divorces?
--C’est
vrai, j'oublie pas que le divorce, c’est pas fait pour les chiens!
--
Et le mariage, c’est pas fait pour les bourricots comme toi. Aouah,
la vie à deux c’est trop difficile! Crois-moi, une fille de temps
en temps, y a rien de mieux! Elle te fera jamais de scène ou sinon,
tu la largues! Et même si c’est elle qui te largue, une de perdue,
dix de retrouvées!
--Remarque
que tu dis ça mais si ta fiancée de Bab El Oued…….., tu
parlerais autrement!
A
l’évocation de Suzy, la nostalgie s’engouffra dans le regard de
Richard. Petite fiancée qu'un attentat avait arrachée à ses
rêves adolescents. Un instant, Victor regretta l'allusion de ce
drame qui glaça l'atmosphère.
La
porte du café s’ouvrit alors sur Paulo Zenouda
totalement frigorifié. Après avoir pris le soin de bien refermer la
porte, il se cala contre le chauffage du café en interpellant le
patron.
--Maurice,
sers moi un kaouah, je suis frigorifié ! Amman, quel froid qu’il
fait dans ce putain de pays!
Paulo
utilisait toujours le langage judéo-arabe de sa jeunesse. Il buvait
son kaouah dans un verre, comme là-bas, refusant la tasse
traditionnelle des bistrots parisiens, s’arrimant à ses souvenirs
comme un naufragé à une bouée de sauvetage. Il regrettait
l’Algérie dans ce Paris déshumanisé qui refroidissait tout
sentiment. Avec ses amis d’enfance, il avait reconstruit un autre
Bab El Oued dans ce café qui sentait bon l’anisette et les
engueulades de bonne santé au milieu d’autres exilés
involontaires pour raison d’état.
Richard
venait de trouver un allié dans son discours en faveur du célibat.
--Viens
t’asseoir Paulo! Tu savais que ce babao de Victor y veut se marier?
--Et
bien sûr je sais, y pense plus qu’à ça! C’est pas faute de lui
avoir dit que ça dépendait sur qui il allait tomber!
Victor
se défendit en prenant comme exemple les mariages de Jacky et Paulo
qui tenaient la route .
--Et
pourquoi je tomberais plus mal que toi avec Colette ou Jacky avec
Julia !
--Parce
que nous, Colette et Julia, on les a connues quand elles jouaient
à la marelle! Tu peux pas comparer! Le mariage, c’est une loterie.
Au début, c’est la lune de miel et au bout de deux ou trois ans,
c’est la lune de fiel.......... Si ta femme, elle veut que tu
marches droit, tu marcheras droit........ Et comme, nous autres, on
aime marcher en zigzag, ça risque de faire des remous……………
Si elle est comme ma femme ou celle de Jacky, aucun problème, fonce,
mais si elle ressemble à la femme de Roland, alors, là, mieux tu
restes célibataire ou tu te fais rabbin!
–Putain,
pourtant, elle a un beau cul, la femme à Roland?
--Elle
a un beau cul mais c’est une emmerdeuse! Demande-lui à Roland! Y
va te faire une paracha!
Richard
tamisa l’emportement de son ami.
--Bardah!
N’exagère pas! Y va simplement te conseiller de rester célibataire
ou de te marier dans ta rue, c’est tout!
--Qué
dans ma rue? Ma rue elle est restée à Alger! Tu as oublié?
Richard,
sans relever la remarque de Victor, enfonça le clou.
--Quand
tu es célibataire, tu rends de comptes à personne! Être libre,
ça n’a pas de prix, alors, si de temps en temps, ça te fait chier
de manger seul, dis-toi que la balance, elle penche largement pour le
célibat!
--
Moi, ma parole, je me suis pas rendu compte que Roland il était
malheureux.
--C’est
pas qu’il est malheureux mais il peut pas faire ce qu’il veut!
Des fois, il a une tête d’enterrement! D’après toi, pourquoi il
vient rarement au stade avec nous? Tout simplement parce que ça
gonfle sa femme! Et comme y veut pas lui déplaire, et bien, il
baisse le pantalon!
--Ah,
bardah! Roland, il baisse le pantalon?
Victor,
malicieux comme un singe, sauta sur l'occasion pour en rire.
--Ouais
mais peut-être, il a des compensations!
--Mais
bien sûr! Seulement au début du mariage, elle lui mangeait dans la
main et puis petit à petit, elle l’a enrobé dans du papier glacé.
Et Roland, raïeb, il est malheureux comme les pierres!
Paulo
avala son café puis en se levant donna rendez-vous à ses amis:
--
On se retrouve chez moi mercredi!
--A
quelle heure?
--A
sept heures, sept heures et demie!
*****
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