A
Alger, la mobilisation générale avait vu les hommes de toutes
conditions et de tous horizons se regrouper à dans la capitale pour
être envoyés vers diverses destinations. Le Maroc, mais surtout la
Tunisie et l’Algérie furent des terres de prédilection pour des
hommes partis la fleur au fusil, le cœur plein d’espoir ou la peur
au ventre.
Richard
Atlan, Norbert Bensimon et Pierrot Abergel, les trois enfants du
quartier de l'Esplanade se trouvèrent subitement confrontés à la
réalité de la vie et non plus à la fiction cinématographique
française et américaine que présentaient les écrans des neuf
cinémas de Bab El Oued.
Plus
question de "Mon Ciné", de "Bijou", de
"Palace", de "Marignan" ou de "Majestic";
plus question de côtoyer John Wayne, Humphrey Bogart ou Errol Flynn
sur les écrans algérois. Plus question de héros, de bagarres pour
de faux, de bombardements sur des décors de carton-pâte. Le temps
des larmes et du sang s'était subrepticement glissé dans les jeux
de l'enfance.
Le
père de Richard Atlan fut mobilisé pour rejoindre le 9e zouave à
Aumale. Livrée à elle-même, son épouse se débattit dans un
océan de difficultés entre les restrictions et l’absence du chef
de famille qui responsabilisa les enfants.
--A
présent, tu es le chef de famille, mon fils ! Je te confie la
maison. Je compte sur toi pour seconder ta mère. Tu dois la soulager
chaque fois qu’elle te le demandera et même si elle te le demande
pas, tu dois faire en sorte qu'elle s'use pas la santé. Tu dois te
faire obéir par tes frères. Moi, pendant ce temps, je vais gagner
la guerre avec tous les hommes d’Algérie! Inch Allah !
--Tu
peux compter sur moi, papa mais je te demande une seule chose, c’est
de foutre un grand coup de pied « où je pense » à tous
ces allemands de malheur !
Si
Richard avait osé, il aurait bien précisé "au cul"
mais, ces grossièretés étaient bannies du vocabulaire familial.
Elles étaient monnaie courante au sein de la rue mais chacun
s’essuyait les mauvaises manières sur le paillasson avant d’entrer
dans l’appartement et malheur à celui qui dérogeait à la règle.
Par respect de la mère et par respect de la famille.
Papa
Atlan, comptable à domicile, transfuge de la casbah d'Alger
pour les nouveaux quartiers de Bab El Oued, se sentait juif au plus
profond de lui mais n’était pas un fervent de la synagogue qu’il
fréquentait pourtant lors des quatre fêtes principales de Hanouca,
Pourim, Pessah et Yom Kippour. Des appellations hébraïques qu’il
n’employait pas à l’instar de nombreux coreligionnaires qui
utilisaient volontiers les termes français usités couramment au
lendemain de la naissance de l’Alliance israélite universelle en
1860 afin d’emboiter le pas de la France en Algérie.
Ses
apparitions aux temples de la rue Suffren et de la rue de Dijon lors
des soirs de shabbat avec le but avoué de se faire une clientèle
parmi les commerçants juifs de Bab El Oued d’abord puis d’Alger
furent couronnées de succès. La famille Atlan de la rue Randon
située au cœur de la basse casbah se déplaça à Bab El Oued, dans
le quartier de l'Esplanade où elle trouva un appartement spacieux
et aéré avec une pièce spéciale pour installer le bureau du
maitre de maison.
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