Grâce
à l’impératrice Eugènie qui se plaint lors de sa visite en la
blanche capitale du manque de promenades ombragées à Alger, en
1865, Napoléon III, dessine lui-même les plans des deux trouées
LAFFERIERE et Général FARRE , en tous points identiques où seront
édifiés des squares magnifiques s’inclinant en une somptueuse
révérence vers une Méditerranée africaine, ourlée de tendresse
et parfumée de senteurs orientales. Des cascades de verdure
s’allongeront au soleil reposant l’âme et le cœur des algérois
offrant
promenades
contemplatives et cours de récréation à ciel ouvert.
Les
cinq squares Guillemin résultent de la volonté de l’impératrice
Eugénie avec son merveilleux jardin des tournants menant à la rampe
Valée en zigzaguant de part et d’autre des rampes de bronze,
prêtant ses côtes à la juvénile énergie des enfants du quartier
et ses tendres recoins aux élans du cœur, cerné de « mouches à
miel », ces guêpes inoffensives que les gamins enferment dans des
boites d’allumettes trouées pour les laisser respirer. Avec cet
autre jardin quelque peu délaissé bordant les Bains Padovani, au
profit des trois autres espaces du boulevard Guillemin plus adaptés
à l’accueil des familles, ses bancs de pierre, sa fontaine qui
désaltère dans discontinuer les petits assoiffés de trop se
dépenser. Au total, un écrin de verdure partant à la conquête de
la casbah pour le plus grand plaisir des gens de l’Esplanade.
S’y
greffent les squares Nelson, son monument aux morts de 14-18 et son
marché couvert à partir de 1956, jardin tranquille loin du bruit et
du « tcherklala » des squares Guillemin, où les amoureux
projettent l’avenir à l’image du calme qui les environne.
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Les
jardins du faubourg vivent au gré des saisons. L’éblouissement de
l’été encourage la vie au grand air et les jardins dament le pion
aux plaisirs de la plage. La belle saison avec son cortège de
manifestations musicales que clôture traditionnellement un bal où
le paso-doble le dispute au tango et autres danses exotiques très
appréciées des enfants du faubourg. Jacques REDSON et Charly
FINALTERY rivalisent de fantaisie pour animer ces joyeuses tranches
de vie, les vedettes locales Luc DAVIS, Anita MORALES, LOS ALCARSON
ajoutent une touche professionnelle aux galas amateurs,
radio-crochets en fête qui révèlent de nouveaux talents ou
provoquent d’interminables broncas. Il faut préciser que l’enfant
de Bab El Oued allie la joie de vivre à une propension à la
plaisanterie hors du commun. Aussi se fait-il un plaisir d’inscrire,
à son insu, un ami sur la liste des candidats au radio-crochet. Et
de préférence un garçon « qui en touche pas une en chanson » ce
qui déclenche à l’annonce de son nom la surprise de l’intéressé
et l’hilarité de ses amis.
Le
soir, les riverains descendent au jardin avec en bandoulière ce
formidable besoin de communication. Voisins depuis leur plus tendre
enfance, ils prolongent par leur amitié la complicité de leurs
parents en espérant la transmettre à leurs enfants.
Les
après midi d’automne soutenus par l’été indien d’Alger
bercent les jardins de calme et de convivialité. Dès le premier
octobre, jour de rentrée des classes , le chuchotement supplante les
cris et remontrances des mamans orphelines de leur progéniture.
Jusqu’à seize heures trente, le jardin semble faire la sieste,
bercé par le chant de la mer toute proche, peu pressée de jeter sa
colère hivernale à l’assaut des digues et des plages, des
cabanons et des remparts. Détournés de leur fonction première, les
jardins reprennent des couleurs avec les clameurs des écoliers
libérés des établissements de Lazerges, Rochambeau, Sigwalt,
Condorcet, Franklin, Lelièvre, Camille Douls, Consolation,
Normandie, Dijon et Léon Roches. L’envahissement des aires de jeux
par les culottes courtes détrône la quiétude des
mamans-papoteuses, tricoteuses, ou les deux à la fois. Etourdies par
toute cette jeunesse affamée, elles ouvrent leurs cabas, véritable
caverne d’Ali Baba d’où surgissent sandwiches, cocas, galettes
ou biscuit.
Seules
les averses diluviennes en cette saison cantonnent tout ce petit
monde à l’intérieur des appartements mais la moindre petite
éclaircie jette les plus courageux dans les rues. Si la pluie joue à
cache-cache avec eux, une arcade, une entrée de maison ou de magasin
servent d’abri temporaire.
Les
belles journées d’hiver attirent un peu moins de monde mais les
jardins demeurent le passage obligé d’une rencontre au retour du
marché et le lieu indispensable aux « matches du siècle » entre
équipes de quartiers. Un hiver en pointillé lassé d’avoir
frigorifié la métropole, arrivant essoufflé sur le sol africain
qui conserve tout de même l’animation joyeuse des squares de Bab
El Oued.
Mais
en toutes saisons, les jardins jouent un rôle prépondérant dans
les relations entre filles et garçons qui connaissent souvent leurs
premiers émois amoureux au sein de ces paradis de l’enfance. Plus
tard, la végétation offrira quelques encoignures où abriter les
premiers baisers, les premiers élans de tendresse, les premiers
aveux.
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Dans
le cas particulier du jardin Guillemin, la vie des apprentis
footballeurs s’assombrit lorsqu’un manège vint s’installer sur
cet espace réservé à leur besoin de se dépenser. Cette appendice
amputa le terrain de son aile droite, révoltant la jeunesse qui se
voulait propriétaire de ce lieu arpenté depuis la plus tendre
enfance. Qui plus est, le patron de cette « monstruosité » poussa
le vice jusqu’à refuser de rendre la balle qui dérangeait son «
manège ». Le sang des garçons ne fit qu’un tour. Une stratégie
de défense vit le jour. Armée de « taouètes » , la bande
encercla le cirque et visa sans tirer la boule multicolore qui
tournoyait au dessus de la tête des bambins. L’ultimatum fut
entendu au delà de toute espérance. Le propriétaire du manège
signa un pacte de non agression avec la jeunesse qui accepta de
stopper ses activités footballistiques à certaines heures de la
journée. Entres gens de bonne volonté, on trouvait toujours un
terrain ( de football) d’entente à Bab El Oued.....
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