Clauzel
CLAUZEL
débarqua à ALGER le 10 août 1835. Léon Juda, Aaron MOATTI et Saül
COHEN-SOLAL s'inquiétèrent, une fois de plus, du sort réservé à
leur pays, à leurs coreligionnaires, à leur avenir.
Mais le
discours prononcé par le nouvel homme fort des Possessions
Françaises d'Afrique du Nord les rassura totalement. Il était
question d'enracinement de la FRANCE en terre d'ALGERIE, de
rétablissement de la paix, de commerce, d'industrie et
d'agriculture, de chant d'espérance sous la bannière tricolore.
Même s'il
se fit dans la douleur, l'élan qui avait poussé la communauté dans
les bras de la conquête, semblait couronné de succès. Pour le
moins, le rêve s'éternisait.
Le vieux
Maréchal, malgré ses soixante trois ans, restait partisan d'une
guerre totale. Finis les atermoiements, les "oui mais", les
"ni guerre, ni paix, ni colonisation, ni occupation" comme
aimait à le souligner le Ministre THIERS.
A la tête
de onze mille hommes, il quitta ORAN, le 25 novembre 1835 en
direction de MOSTAGANEM avec, à ses cotés, le Prince héritier, le
Duc d'ORLEANS.
*****
Léon Juda
était à ARZEW. Exploitant les salines pour le compte d'ABD EL
KADER, il fut informé de l'avancée des troupes françaises par les
courageux colporteurs qui sillonnaient, au péril de leurs vies, les
routes du "Beylick"
de l'Ouest. Malgré quelques accrochages, le Maréchal CLAUZEL volait
de victoires en victoires mais il changea brusquement de stratégie
et, délaissant momentanément MOSTAGANEM, marcha sur MASCARA, fief
du Sultan des arabes.
Mais la
capitale de l'Oranie, cité historique, forteresse haute de vingt six
mètres, était considérée par ABD EL KADER comme sa ville, sa
chose, le témoignage de sa puissance. Dix mille habitants dont une
très nombreuse communauté israélite, y vivaient et y
travaillaient. Pour y accéder, le conquérant devait emprunter une
longue trouée visible de la citadelle, de part et d'autre des
mamelons du BENI CHOUGRAN. Autant dire que la partie s'avérait
difficile pour les forces françaises.
Décembre
était froid. Les rigueurs de l'hiver rendaient pénible l'avancée
des hommes et des bêtes. Les forces abandonnées lors des durs
combats de l'HABRA manquaient et les jambes se dérobaient sous le
sol boueux. La faim devint une obsession.
Dès le 2
décembre, Léon Juda et son frère Haïm avaient rejoint ABD EL
KADER à MASCARA pour le prévenir de la nouvelle destination des
Français. L'Emir savait. Désireux avant tout de renouveler la
victoire de la MACTA, sûr de lui et de ses hommes, il commit la
faute suprême de vendre la peau de l'ours avant de l'avoir
terrassée. Il lança ses cavaliers sur la colonne française engluée
dans un entonnoir naturel formé par la forêt. L'artillerie brisa
net l'élan des hommes de l'Emir. Des centaines de victimes
jonchèrent le sol. Ce fut la débâcle. La débandade. L'armée des
croyants n'existait plus. MASCARA s'offrait, nue et orpheline, à la
convoitise de CLAUZEL.
L'ordre
d'évacuer la ville fut alors donné. Les habitants se ruèrent hors
les murs de la forteresse, emportant avec eux leur maigre bagage. La
politique de la terre brûlée fut, alors, érigée en absolue
nécessité. Il n'était pas question de livrer la ville, la capitale
de l'Emir, intacte, à l'infidèle. Léon Juda et son frère
assistèrent, alors, au pillage du vieux quartier juif par des
cohortes de fous sanguinaires, tribus d'ABD EL KADER en déroute,
incontrôlées, qui massacraient les hommes, les femmes et les
enfants, incendiant tout ce qui appartenait ou semblait appartenir à
un membre de la communauté israélite, avant de s'attaquer à la
cité. Le 7 décembre, le Maréchal CLAUZEL entra dans une ville
morte, un champ de ruines déserté de ses habitants. Seuls
demeuraient quelques centaines de juifs hagards, rescapés de
l'égorgement généralisé, peu préparés à une nouvelle errance
et quelques mozabites attentistes qui s'en remettaient à la sagesse
d'ALLAH.Les frères DURAN échapperont à la mort grâce à la
sollicitude d'ABD EL KADER qui, au plus fort de la tourmente,
entraîna Léon Juda et Haïm dans son sillage, loin des tribus
alliées de la FRANCE, qui continuaient leur chasse à "
l'homme à la
pèlerine" .Tribus qui rallièrent les
hommes de l'Emir pour insulter le "Sultan
El Ghaba",
sultan de paille, l'abandonner dans le froid de la solitude, trainant
son épouse dans la boue, confisquant le parasol, symbole flamboyant
du commandement suprême, pillant la tente du Seigneur offerte par le
Général DESMICHELS.
"Léon
Juda Ben DURAN " demeura avec son ami,
le Chef de la Guetna, écrasé par la trahison de ses guerriers
fanatisés et aveuglés par la colère d'une pareille déroute. Ils
passèrent au crible toutes les hypothèses résultantes de la
cuisante défaite et l'abandon de la ville natale : une retraite au
MAROC, un traité de paix définitive, une reddition avec les
honneurs ou bien une reprise en main de son potentiel militaire et de
ses troupes dispersées et livrées à elles-mêmes, en ce mois de
décembre glacial.
--"Seigneur!
Déposes les armes! Marches aux côtés de la France! Cesses la lutte
armée et entraînes ton peuple vers la paix!. Que peux-tu espérer
de guerriers renégats? Ils ne sont que le reflet d'une défaite
annoncée! " plaida l'ami juif du
Sultan.
Mais l'homme
au burnous blanc opposa un refus catégorique à toute solution
d'abandon de souveraineté préconisée dans l'urgence et la douleur.
--"Par
ALLAH! Je te jure que les infidèles seront chassés de ce pays! Les
Chrétiens seront rejetés à la mer. C'est écrit!
"
--"Alors,
dis-moi Seigneur, pourquoi ALLAH semble t'avoir abandonné comme
l'ont fait les quelques tribus qui marchaient à tes cotés! Regarde
autour de toi! Il ne reste que ruine et désolation, pluie, vent et
froid. Et pire encore! Tu n'as plus que deux marchands juifs comme
soldats et serviteurs!"
ABD EL KADER
posa la main sur l'épaule de Léon Juda, porta son regard bleu sur
le visage mangé par une épaisse barbe noire ruisselante, du seul
ami qui lui demeurait fidèle et martela :
--"Je
ne te le répéterai jamais assez, nous
ne sommes pas un Emir et son serviteur. Nous sommes des frères!"
*****
Le feu de
Dieu écorchait la nuit, illuminant les contours torturés de la
masse nuageuse qui dressait un rempart au bout de l'horizon.
ABD EL
KADER, silencieux sous les colères du ciel, Léon Juda dépêcha son
frère à ARZEW puis, apaisé sous la fureur qui inondait la plaine
de l'EGHRISS, entra en prière. Les deux hommes, unis dans la
solitude de leur méditation, éclairés épisodiquement par les
chandelles divines, s'enivrèrent de silence et de paix intérieure.
Paroles muettes échangées dans un regard furtif, tacite complicité
de deux âmes cherchant la voie de l'absolu et de l'espérance
chuchotée dans ce pays parfumé de superstition.
Mille
questions, pour la plupart restées sans réponse, assaillaient ABD
EL KADER. La foi inébranlable en une "djihad"
victorieuse ouvrirait-elle les portes de la reconquête des coeurs
musulmans afin de chasser l'infidèle du grand livre de l'Islam
d'Afrique du Nord ? Léon Juda, ce juif tenu en si grande estime par
MAHI ED DINE, son vieux Marabout de père, n'enfourchait-il pas le
cheval de la sagesse en prônant la paix des braves et l'alliance
avec la FRANCE, l'ennemie d'aujourd'hui, l'amie de demain? L'aîné
des DURAN, de son coté, semblait poursuivre une chimère en
soutenant, par une présence assidue, le Sultan des Arabes. Il
respectait, ainsi, la promesse faite à MAHI ED DINE sur son lit de
mort, de guider son fils vers la lumière aveuglante de la sagesse
qui habille tous les grands hommes. Mais il savait que sa démarche
allait bien au-delà d'un serment. Le combat de l'Emir n'était ni le
sien ni celui de sa communauté. Il eût pu se parjurer, se parer de
mille raisons valables pour renoncer à cet engagement. Mais l'amitié
se fiche de coupables conventions et Léon Juda tirait fierté de sa
présence auprès d'ABD EL KADER et de l'accompagner dans sa descente
aux enfers.
Alors que
grondait le tonnerre de Dieu dans la vallée humide, l'errance des
deux comparses dura quatre jours et quatre nuits. Sous une tente de
fortune, ils refirent le monde, la faim au ventre et la volonté en
bataille. Seule une vieille femme, sortie de nulle part, leur offrit
un morceau de "Kesrah"
et un verre de "kawah".
De leur point de vue stratégique dominant la plaine de l'EGHRISS qui
conduisait aux portes de MASCARA, ils avaient suivi l'évolution de
la situation. Sous des averses incessantes qui les clouaient au sol
boueux, les Français détruisirent les réserves de munitions, de
soufre, de poudre, les magasins et les entrepôts avant d'offrir la
ville aux pillards des tribus "maghzen".
Les fortifications tombèrent ainsi que les établissements qui
pourraient, un jour, servir les desseins des ennemis de l'autorité
du Gouvernement français. Les incendies spontanés se développèrent
à chaque coin de rue et la cité incandescente leur apparut plus
belle, plus fragile, plus abandonnée.
Lorsque, au
matin du cinquième jour, ABD EL KADER comprit que les troupes
françaises, appelées sous d'autres cieux, pour d'autres conquêtes,
avaient déserté la capitale de l'Ouest, il reçut cette vision
comme le signal d'un renouveau imposé par le Dieu des Croyants.
Alors, il enfourcha son magnifique coursier noir et, sans laisser le
temps à Léon Juda de l'imiter, s'élança jusqu'aux portes de
MASCARA.
Les deux
hommes entrèrent dans une ville ravagée dont les maisons écroulées
fumaient encore des cendres de sang. Les chacals et les corbeaux
exécutaient leur sale besogne dans un bain de boue, de cadavres et
d'immondices, sous un déluge dantesque. Léon Juda eût tôt fait
d'analyser une situation qui tournait, encore une fois, à l'avantage
de son ami par le seul départ des français. Peu importaient la
cruelle défaite, les vexations, les abandons et les reniements.
Passaient au second plan, les recommandations de Léon Juda. La
reconquête des âmes et des coeurs demeurait encore possible mais,
pour cela, il fallait faire vite et tirer immédiatement profit de
l'incapacité du Maréchal CLAUZEL à garder MASCARA.Soutenu par le
vieux "caïd"
SIDI LARADJI, le Prince des Croyants rameuta à lui tous les égarés,
assurant le pardon aux chefs des tribus repenties, et entraîna sous
sa bannière, plus de combattants qu'il n'en avait jamais compté.
Ses envolées lyriques, prêchant la guerre sainte, pénétrèrent
l'âme musulmane, le fanatisme pour meilleure alliée
A SUIVRE.......................
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