Pourtant, le traité secret
était une épine dans le pied dont se serait bien passé DROUET D'ERLON. Léon
Juda, au cours de ce premier trimestre 1835, multiplia les aller-retour entre
ALGER et MASCARA, jouant les ambassadeurs et les monsieur bons offices,
arrondissant les angles entre ABD EL KADER et le Gouverneur.
Pour le malheur du Général
DESMICHELS, il apporta, sous forme de deux missives, la preuve matérielle de
l'existence du fameux second traité qui, comme l'écrira le Gouverneur au ministre
de la Guerre,
" ....renferment des éclaircissements fort étranges et jettent un jour
nouveau sur la politique occulte suivie par le Général DESMICHELS envers l'Emir... "
Les deux lettres, dont
l'authenticité fut reconnue par le Capitaine SAINT-HYPPOLITE et sur lesquelles
figurait le cachet du Gouverneur d'ORAN, décida DROUET D'ERLON à révoquer le
Général DESMICHELS, remplacé aussitôt par le Général TREZEL
Lors de ses différents
voyages, "oukil" d'ABD EL KADER, ambassadeur des Possessions
Françaises par le bon vouloir de son Gouverneur ou guide topographe de l'armée,
Léon Juda noua une sérieuse amitié avec son accompagnateur, le Capitaine
SAINT-HYPPOLITE qui découvrit, alors, un homme doté d'une personnalité située aux antipodes des canons de la
bienséance parisienne. L'oriental qui lui apprit le pays, ses montagnes et ses
chèvres, ses climats et ses hommes, ses
terres arides et ses hospitalités, ses ombres et ses lumières, captiva son
attention et captura son estime. Plus tard, il aura l'occasion de chanter ses
louanges à des supérieurs qui doutèrent de la parole du "juif DURAN", lui apportant sur un plateau d'argent, le
certificat de bonne conduite et de droiture qui le sauvèrent.
Par son dévouement toujours
intéressé mais très précieux, par son génie de l'intrigue, par l'intelligence
déployée pour déjouer les pièges, Léon Juda BEN DURAN développa une influence
quasi illimitée sur le Comte DROUET D'ERLON qui lui témoigna une confiance
aveugle. Au point d'attiser bien des jalousies de la part des dignitaires du
régime qui s'indignaient devant le spectacle offert par Léon Juda, se pavanant
dans la calèche officielle du Gouverneur. En fait, Léon Juda était devenu en
quelques mois, le conseiller intime du Gouverneur Général des Possessions
Françaises d'AFRIQUE DU NORD.
Et l'homme fort du pays ne
s'en cachait nullement. Bien au contraire, dans ses échanges de courrier, il
insistait toujours sur le rôle prépondérant et désintéressé de son ambassadeur
israélite. Ainsi, dans une lettre au Ministre de la guerre, il écrivait le 12
Mars 1835 :
"...cette pièce importante de la mission confiée au juif DURAN dont il
s'est acquittée à ma satisfaction
m'ont enfin mis à même de me former des idées plus justes sur l'état de nos
affaires...."
A DURAN, lui même, le 24
Février 1835 :
" j'ai reçu vos importantes dépêches du 6 et 7 Février. Je ne peux que
vous témoigner ma satisfaction sur les bons services que vous avez rendus, dans
la mission que je vous avais confiée, à la FRANCE et à l'EMIR.."
Léon Juda était un homme
habile, adroit et clairvoyant. Il additionnait les qualités et les défauts que
l'on prête volontiers à l'oriental. Vénal et menteur lorsque la cause à
défendre l'exigeait, il ne s'embarrassait d'aucun scrupule. Seul le résultat
importait. Il était l'archétype du juif algérien, la synthèse de
l'intermédiaire israélite façonné, non par la main de Dieu, mais par l'exigence
du pouvoir ottoman et la dure condition de "dhimmi" qui emprisonnait
toute ambition. Face à l'équation proposée par le Dey d'EL DJEZAÏR qui voulait
qu'un juif, fût-il notable, devait servir la Régence ou mourir, Léon Juda avait
été élevé par son père selon le principe élémentaire de la survie et du profit.
Doté d'une belle prestance et d'une apparente bonhomie qui charmait son
entourage, il savait tirer son épingle d'un jeu dont il s'ingéniait, parfois, à
embrouiller les cartes afin de se voir désigner par les protagonistes, comme
ultime recours.
"Oukil" d'ABD EL KADER et
ambassadeur de DROUET D'ERLON, il pouvait se prévaloir d'une certaine
ascendance sur les deux principaux acteurs du conflit armé entre la FRANCE et
les Arabes.
Le crédit accordé à Léon
Juda par le Gouverneur atteignit de tels sommets qu'il influença, à plus d'un
titre, sa politique africaine. Ce privilège dont il bénéficiait, agaçait
souverainement les ennemis du vieux Général qui n'en avait cure, tant les conseils
du "juif DURAN" sur
l'attitude à adopter envers l'Emir des arabes, lui paraissaient judicieux.
Pourtant, Léon Juda maniait
l'art de la dissimulation et de la roublardise avec talent et discernement. A
DROUET D'ERLON, il exagéra la puissance militaire des tribus d'ABD EL KADER car
il savait la FRANCE peu désireuse d'entreprendre une expédition longue et
coûteuse.
Au Seigneur de la GUETNA
qu'il rejoignit, à MEDEA, en compagnie du Capitaine SAINT-HYPPOLITE, il se fit
l'avocat du Gouverneur et poussa son ami musulman, à conclure un nouveau pacte,
plus avantageux pour la FRANCE, en remplacement du second traité DESMICHELS.
Intelligent, Léon Juda
l'était indéniablement. Sur la route de MEDEA, il sonda la population de
MASCARA puis de MILIANA. Les tribus, reconnaissantes, chantaient les louanges
de l'Emir des arabes pour avoir assuré la sécurité des routes en battant BEN
MOUSSA à la tête de ses quatre mille cavaliers. Aussi, devant ce plébiscite
spontané, rédigea t-il, lui même, un projet de traité en dix points profitable
à l'Emir, qui cantonnerait les français dans quatre villes, ALGER, ORAN, MOSTAGANEM
et ARZEW. Après avoir pris connaissance de ce texte, ABD EL KADER le parapha,
offrant l'image d'un homme de paix et de conciliation entr'aperçue lors du
traité DESMICHELS.
Le 5 Avril 1835, le
Gouverneur Général des Possessions Françaises d'Afrique du Nord nomma Léon Juda
membre du premier conseil municipal d'ALGER, puis adjoint de Mairie, chargé des
Affaires Israélites. Cette dernière distinction remplaçait, en fait, la
fonction de Chef de la Nation Israélite qui fut dévolue, à partir de ce jour, à
la personnalité juive la plus en vue à la Mairie d'ALGER.
Cette nomination fut
accompagnée d'une proposition des autorités françaises visant, pour "commodités
administratives", à modifier le patronyme de Léon Juda qui eût tôt fait
d'entériner ce choix lui ouvrant, sinon la porte, du moins, l'antichambre de la
nationalité française. Ainsi,
"Sieur DURAND" remplaça "juif DURAN" sur tous les
documents officiels des Possessions Françaises d'Afrique du Nord
Période faste pour Léon Juda
BEN DURAN "Sieur DURAND"
qui monopolisa le commerce d'ABD EL KADER via l'ESPAGNE, tout en exploitant les
salines d'ARZEW et en vendant armes et munitions aux tribus fidèles pour en
tirer de substantiels bénéfices. Par ailleurs, sa parfaite connaissance du pays
le désigna au Gouverneur pour accompagner le Capitaine SAINT-HIPPOLYTE,
topographe de l'armée. Lors de ses incessants voyages entre l'Algérois et
l'Oranie, pour DROUET D'ERLON ou le Prince des croyants, pour la politique ou
le commerce, "Sieur DURAND"
se lia d'amitié avec le militaire français.
Et, personne ne s'étonna de
la flatteuse réputation, répandue dans les allées du pouvoir, par le Capitaine
sur la personne de son ami juif.
A SUIVRE......................
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