vendredi 25 janvier 2013

TROIS HORLOGES de Hubert Zakine

CET OUVRAGE REPRESENTE LA SUITE  DE : 31 rue Marengo, le petit juif de la casbah d'Alger

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Le soir, Richard s’asseyait au balcon. Nez au vent, face au superbe panorama qui s’allongeait à ses pieds, il découvrait avec émerveillement le plaisir des grands navires voguant vers l’horizon. Du cinquième étage, son regard plongeait, à gauche, vers les jardins Guillemin qui descendaient en cascade vers la mer, à droite sur l’avenue Malakoff bordée par l’immensité de la méditerranée et, en apothéose, la colline verdoyante de Notre Dame d’Afrique. Son regard ne butait plus contre l’étroitesse de la rue Marengo mais se perdait sur l’étendue indigo des cieux et les joyeux moutons qui gambadaient au gré du vent sur la mer. L’appartement de sa jeunesse lui parlerait toujours de son enfance, de ses parents et de ses grands parents et même au delà du nom de la famille Duran. Le Comte Drouet D’Erlon, alors gouverneur des possessions françaises en Algérie, lassé de voir sur les papiers officiels de la France « juif Duran », proposa à Léon Juda Ben Duran, son conseiller intime, d’entériner le choix de « Sieur Durand » en attendant sa prochaine naturalisation. Ainsi, la famille Duran devint les Durand d’Alger par la grâce du comte Drouet D’Erlon.
Le quartier de son enfance l’ensorcellerait tout au long de sa vie d’européen d’Algérie, de juif d’Algérie et de français d’Algérie. Il se souvenait de la basse casbah où chaque heure de la journée était réservée à une activité bien précise. C’était ainsi que vivait la casbah judéo-arabe. La matinée étant consacrée au travail ménager pour les femmes et au farniente pour une bonne moitié des hommes qui passaient le temps à jouer aux dominos, à discuter, assis autour de la place du gouvernement ou à flâner au port qui s’affairait à toute heure de la journée. Et l’après midi, alors que les femmes se reposaient dans la tiédeur cossue de leur habitations, les hommes se retrouvaient après la sieste pour continuer leur indolence jusqu’au soir. L’autre moitié, besogneuse et acharnée à gagner sa vie, rentrait pour déjeuner et le soir après le café, retrouvait le cocon de sa famille. Bab El Oued était un autre monde et si Richard n’oublierait jamais sa basse casbah à mi-chemin de l’orient et de l’occident, il se tournait résolument vers la modernité que représentait son nouveau quartier.
Pour la première fois, Yom Kippour fut célébré ailleurs que dans la casbah qui était de moins en moins judéo-arabe. Seules les vieilles personnes, trop attachées à leur quartier, demeuraient dans leur espace familier qui se résumait au marché Randon et à leur voisinage. On dit souvent que l’habitude est une seconde nature et lorsque les « transfuges de la casbah » les Durand, les Timsit, les Mamane, les Zenouda et les Bacri, entrèrent, pour la première fois, dans la synagogue Samuel Lebar rue de Dijon à Bab El Oued, ils pensèrent à leurs sièges inoccupés du Temple de la place du grand rabbin Abraham Bloch. Leur cœur saigna, alors, en évoquant ce qui ressemblait à une désertion des juifs dans cette casbah où, depuis tant d’années, ils avaient planté leurs racines. Un abandon, synonyme de survie face à l’incompréhensible procès dont ils furent victimes de la part d’une organisation terroriste étrangère à la casbah, qui espérait se faire un nom sur leur dos. Car les Durand étaient persuadés que la menace aurait été mise à exécution s’ils n’avaient tenu aucun compte de l’avertissement amical de Slimane Mokrani.
Le temple Samuel Lebar se situait rue de Dijon, dans le quartier des Italiens, là même où le Dey d’Alger possédait ses écuries et, où plus tard, la France installa une ligne de transport qui parcourait les environs d’Alger de village en village pour le courrier et plus rarement pour les voyageurs. C’était l’époque héroïque des Messageries, nom qui désignait encore, de nos jours, le quartier des Italiens. La rue de Dijon, toute en longueur, débouchait sur l’avenue Malakoff qui longeait l’enjôleuse et lumineuse Méditerranée. Cette artère qui, d’ordinaire, était une rue besogneuse, ressemblait à la rue Marengo avec en plus, une effervescence bruyante des rues napolitaines qui n’existait pas dans la casbah. La synagogue, trop petite en ces jours de fête, débordait de toutes parts avec une jeunesse avide de profiter de cette journée où la religion interdisait aux enfants de se rendre en classe. Aussi, les alentours se remplissaient de garçons et filles habillés sur leur trente et un pendant que les adultes priaient et louaient l’Eternel, courbés sur le passé d’un peuple millénaire, le taleth blanc à bandes noires sur les épaules et la kippa sur la tête. Le recueillement comme la ferveur en ce jour de Grand Pardon au Temple de la rue de Dijon étaient identiques que dans le Temple de la rue Randon comme aux synagogues de la rue Sainte, de la rue Suffren, de la rue Scipion ou de tout autre lieu de prière. Même piété entrecoupée de cris d’enfants, mêmes chuchotements amplifiés au fur et à mesure que l’heure avançait, même jeunesse rigolarde aux abords de la synagogue. La différence avec le Temple de la casbah se situait au niveau de la présence des épouses et des mères de famille qui arrivèrent sur le coup de seize heures.

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