vendredi 1 juin 2012

HORIZONS BLEUS "le cabanon des gens heureux " de hubert zakine

Si je deviens un obsédé comme lui, ma mère elle me tue, moi et mon père qu’à tous les coups elle va rendre responsable parce que c’est lui qui m’a mal élevé. Ma mère elle est comme ça. Tout ce qui est bien, c’est grâce aux gènes de sa famille, tout ce qui est tordu, c’est la faute des gènes de mon père. Raïeb mon père ! Madame sans-gêne, c’est ma mère. Quand y a d’la gène, y a pas d’plaisir !
Bon alors, que réponds-je à ma demoiselle de charité qu’elle peut s’attacher une gamelle si elle croit que je vais lui donner un sou ?
--« Pourquoi tu l’as fait toi ? » . L’art et la manière de pas répondre, je lui sors faussement innocent.
--« Bien sur ! » Purée, quel aplomb et quelle assurance elle a cette petite morveuse que tu lui presses le nez, le lait y coule encore.

Elle a pas vu que je sors à peine du ventre de ma mère, que je suis trop petit pour ces jeux d’adulte. Encore si ce babao de Serror y m’avait raconté comment on fait.
Me voilà dans de beaux draps avec cette fille sur les bras. Purée, j’ai le don de me mettre dans des situations apocalyptiques. Qu’est ce qu’elle croit, Francette, que je saute sur tout c’qui bouge. Qu’il suffit qu’on me dise oui pour que « a ya zoumbo ! » je me jette comme un mort de faim sur ma proie. Qué ma proie ! C’est moi la proie ouais ! Je ressens exactement ce qu’elle devait ressentir la chèvre de Monsieur Seguin. Une proie ! Voila, je suis une proie pieds et poings liés. Raïeb de moi !
Jamais j’aurais du rencontrer Francette et sa gobia qu’elle porte en bandoulière.
Parce que si je refuse, pour qui je passe ? Pour un falso ! En plus pendant que je me torture la santé, Francette elle s’enroule autour de moi comme un morceau de caoutchouc.
--« Et où on va le faire ? » je m’entends parler comme dans un rêve aux allures de cauchemar.
--« Je connais un coin dans la forêt. » Le contraire m’eut étonné. Elle avec ses coins.
--« Tu viens un soir dans la forêt. Je connais un endroit qui a pas brûlé ». Purée, elle en connaît des coins, des endroits et des envers, cette effrontée !
Je me défends comme un peureux.
« La forêt, c’est un véritable cloaque avec cette pluie ! » Purée, ce mot jamais je l’ai employé jusqu’à aujourd’hui. Cloaque ! Qui c’est le pied noir de Bab El Oued qui l’a déjà utilisé une fois dans sa vie, la vérité.
A bout d’arguments et de nerfs, je décide que demain le bon Dieu y sera grand. Mais la vérité, je préfèrerais qu’il reste tout petit. Un nain ! On serait le premier peuple à connaître le bon dieu.
Aouah ! C’est vrai que c’est un nain ? Mais c’est pas possible. C’est un coup du diable. Comme dans « l’homme qui retrécit », le diable il a tapé un coup de zouzguèfe au bon dieu ! 
Je déraille complètement.
Purée, je voudrais que cette journée elle finisse pas. Que « la machine à remonter le temps » avec Rod Taylor, elle explose et que la montre elle perd ses aiguilles. Toute la vie, on sera aujourd’hui. Demain, ça existe plus. Tous les jours, Christiane Delacroix à la radio, elle nous apprendrait les nouvelles de la veille qu’elles seraient toujours les mêmes. Des nouvelles pas fraîches en quelque sorte. Comme les anchois de madame Apicéla que c’est l’épicière de la rue Rochambeau à Bab El Oued. Tout je mélange ! Y faut dire que dans ma tête c’est un sacré ralota !

Jamais je vieillirai puisqu’on sera toujours le même jour. Je resterai toujours jeune et beau comme ça ma mère rien qu’elle se pâmera. Ba Ba Ba ! Ouais mais après, toutes les filles elles vont me courir après pour me faire Pâques avant les Rameaux. Pas assez Francette ! Aouah ! Rod Taylor y faut que tu répares les aiguilles de ta machine à remonter le temps. Ca va pas non !
Y me reste plus qu’a espérer que le mauvais temps y s’installe à demeure aux Horizons Bleus comme ça, Francette elle pourra aller se rhabiller parce que moi, je veux pas mouiller mes vêtements que ma mère après elle me tue.
Avec sa proposition, Francette elle m’a coupé la chique. J’ai trouvé tous les prétextes de la terre pour me sauver fissa de la Pointe Pescade, enfin de Miramar où le coin des amoureux, il a pas servi à grand-chose. Sous la pluie battante mais le coeur content, j’ai failli me prendre pour Gene Kelly mais non seulement je danse comme un téléphone mais en plus j’ai pas de parapluie.
Rendu au cabanon, je ressemble à un sac de pommes de terre qui serait tombé à la mer. Ma mère, vite elle me frotte la tête pour pas que je lui tombe dans un lit sans oublier de me traiter de salopris. Colette, elle, elle est dans sa chambre ouverte sur la terrasse en train de rêver en écoutant « Only you ». Les Vals, déjà y mangent. Purée, illico presto, la faim elle me tenaille. Surtout qu’une odeur de loubia elle se répand à travers le cabanon. Aille, sa mère ! La gobia ! Ma mère, tout de suite elle comprend que son fils y va tomber d’inanition. Ses antennes, elles reçoivent le message mieux que celle de la TSF que mon père y veut capter toutes les stations de la planète. Mon frère aîné, y met la table. Même pas j’attends une demi-seconde. Drop ninette, je m’assois et je tends l’assiette comme un mal élevé que je suis. Et babao avec ça, car je sais que ma mère, d’abord elle sert le chef de famille, puis l’aîné, puis le cadet et moi le petit dernier. La pauvre, ma mère qu’elle est satisfaite quand ses hommes y sont à table et qui dévorent comme des morfals. Après seulement elle se remplit son assiette quand il en reste. Ces mères de chez nous ! La purée ! Où on va trouver des pareilles ?

Tiens, Colette et Luc, on dirait que l’odeur de la loubia, elle leur fait de l’effet. Eux aussi, y mettent les bouchées doubles. Mon père avec ses amis Vincent, Sauveur et mes oncles y se tape l’anisette avec une tonne de tramousses. Ma tante, rien qu’elle empêche son mari de se régaler. :
--« Arrêtes ces tramousses de malheur ! Ca va te couper l’appétit ! » De quoi j’me mêle. Et si y préfère les tramousses à la loubia, il a pas le droit !
Les femmes et Colette la première, rien qu’elles veulent notre bien. Alors elles nous privent de tout c’qu’on aime. L’huile de foie de morue, c’est bon pour la santé ! Allez, avale ! Les caramels, c’est mauvais pour les dents. Allez jette ça ! La pitse, ça fait grossir, manges pas ! Regardes pas les jolies filles, seulement les vilaines ! Fais tes devoirs ! Apprends tes leçons ! Oh, Ca va ! C’est pas les vendanges ! Ni le bagne !
Que nos mères, elles nous briment, ok ! C’est pour notre bien ! Et puis, c’est nos mères. Elles ont tous les droits, elles ! Mais, oh, les filles qui deviennent après des femmes, c’est fini oui ! On peut respirer ouais ! Quand en plus, elles veulent nous violer comme Francette ! OOOOHHHH ! Yen a marre ! Laissez moi manger ma loubia tranquille ! Surtout que c’est la meilleure de la planète. La vérité, celui qui a pas mangé la loubia de ma mère, mieux y se suicide !
Tenez, papa Vals y tape l’affront à sa femme en complimentant ma mère et surtout sa loubia.
--« Purée ! Comment elle sent bon votre loubia. On en mangerait ! » Sa femme, verte mais bien élevée, elle tempère sa gobia :
--« Papa ! Tch’as fini de faire le mendiant comme ça ! »
C’est bizarre cette manie qu’elles ont les femmes dès qu’elles sont mariées d’appeler leur mari, papa !
Ma mère, elle connaît papa Vals comme si elle l’avait fait. Elle lui tend une assiette toute chaude :
--« Tenez, mangez ! Pendant ce temps vous direz pas du mal des voisins! »
  
 A SUIVRE.................

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