mardi 27 septembre 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED de hubert zakine -43-

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VIE QUOTIDIENNE
PLAGES ET CABANONS
Bab El Oued vit les pieds dans l’eau et la tête au grand soleil. Bercé par la grande bleue, le faubourg s’éveille et s’endort nappé d’effluves maritimes et de senteurs épicées. La Méditerranée se noie dans son regard et l’azur trace son horizon. Au détour de chaque ruelle, la mer omniprésente détrône la pierre pour offrir son grand lit impudique à l’imagination du quartier.
Les manches retroussées, l’enfant de Bab El Oued bâtit une France sur les rives d’Alger. Issu de toutes les nations qui ourlent la Méditerranée, il n’oublie pas la mère nourricière. Par la pêche, par la navigation, par la construction de petits ports sur la côte turquoise, par le regard posé sur la mouvance des flots, il se sait fils de cette entité marine sans laquelle il se sentirait orphelin.
Jusqu’en 1900, la mer ne se prête pas aux baignades, cette relation charnelle entre l’homme et l’élément liquide. On se contente de fouler aux pieds les belles plages naturelles qui longent le littoral lors de la traditionnelle promenade du dimanche après-midi. Les femmes en crinoline, les hommes portant gibus, les enfants en marinières bleues et blanches, tout un petit monde paradant sur le sable, semblant attendre la mode des bains de mer qui surviendra en 1910. Les « bains des chevaux » qui font face à la caserne des Janissaires, future Salpétrière, attirent les amoureux de la nature qui assistent au spectacle donné par les Maltais sur  leurs montures dans d’homériques cavalcades que ne désavoueraient ni Douglas FAIRBANKS ni Errol FLYNN.
A l’orée de Sidi EL KETTANI, les « bains des familles » inaugurent avec le siècle naissant les joies de la plage  qui se limitent pour l’instant à « taper une pancha » dans l’onde transparente à l’abri des regards indiscrets. C’est la raison pour laquelle les baigneurs s’y rendent dès cinq heures du matin pour une petite heure de bonheur total. Personne ne se prélasse au soleil en s’excusant presque de bronzer comme cela sera le cas quelques années plus tard.
Cette plage se scinde en trois parties dans les années 20 en adoptant les noms de « Prado Plage », « Bains Matarèse » et « Bains Padovani ». Cette dernière entité s’impose comme « la » plage de Bab El Oued avec ses cabines où les belles naïades changent de tenue,  affolant l’imagination d’apprentis Tarzan, sa salle de danse sur pilotis où se célèbrent nombre de mariages et son garage à bateaux qui rougirait s’il devait raconter ce qui s’y passe certains soirs d’hiver. Mais Padovani c’est d’abord et avant tout le Saint Tropez du Faubourg.
On s’y rend pour taper le bain mais aussi pour taper la casserolade ou la cabasette. Les femmes en ce pays  semblent toujours craindre l’arrivée impromptue d’une  pénurie de denrées alimentaires, voire d’une famine endémique. Aussi, nul ne s’étonne de l’abondante diversité de victuailles qui déforme les paniers. Cela va de la coca à la soubressade aux allumettes aux anchois en passant par la calentita, le bocal de poivrons grillés, les montécaos, les ramequins au fromage, la pitse (on ne dit pas pizza) et toutes sortes de casse-croûte (on ne dit pas sandwiches) sans oublier le sélecto et le crush, boissons nationales des enfants de Bab El Oued. La bonne franquette veut que l’on invite les connaissances rencontrées inopinément à la plage à goûter les pâtisseries faites à la maison. « Allez! J’vous en prie, faites pas des manières! Goûtez moi cette calentita, elle fond dans la bouche! »
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DANCING A PADOVANI DE ARMAND ASSUS
 Dans les années 30, le bal Matarèse, du nom de son propriétaire maltais, réunit le samedi soir et le dimanche après-midi toute une foule de solitaires cherchant l’âme sœur. De réputation douteuse, il est le théâtre de nombreuses disputes pour un regard détourné en œillade par la jalousie ambiante. Au fil des années, la respectabilité de l’établissement le destinera à des bals de plus haute tenue. Plus tard, cette longue salle au plancher de bois abritera de la pluie le romantisme venu admirer le cycle éternel de l’averse se répandant dans la mer, isolant les amoureux des regards indiscrets.
Les bains PADOVANI semblent la propriété des Bab El Ouédiens tant ils regorgent d’expressions pataouètes ; tout au long de l’été, le caissier Roger SEBAOUN a fort à faire avec la ribambelle de baigneurs qui envahissent ce haut lieu de l’été algérois que le préposé aux cabines, BELKACEM, a un mal fou à canaliser.
Le « rocher plat » à quelques encablures de la plage décerne le certificat de bon nageur à tout gamin qui réussit un aller-retour « sans se noyer » ; parfois, un nageur-remorqueur accompagne le ou la candidate qui tente la traversée pour la première fois. Lorsque décline le soleil, Bab El Oued voit déferler dans ses ruelles des hordes de bronzés remontant de la plage, regagnant à pied leur quartier une serviette de bains autour du cou.
Les familles non motorisées, refusant les longues attentes d’autobus ou préférant la plage de Padovani, passent la journée assises en rond sur la plage, les enfants dans l’eau, les parents « tchortchorant » en tentant d’éviter les rayons brûlants d’un soleil ô combien généreux. A l’heure du repas, chacun sort la marmite, les sandwiches et toutes sortes de préparatifs de la veille car ici on aime manger au dehors comme chez soi.
Les enfants des Messageries et de la Consolation préfèrent se baigner à la plage de l’Eden et au petit chapeau, petites criques couronnées de cabanons de bois sur pilotis qui semblent bien fragiles face à la fureur des vagues les jours de grand vent mais qui résistent depuis des lustres tels de fiers petits soldats de plomb devant l’ennemi. Au fil des années, les gens de Bab El Oued sortent de leur ghetto volontaire pour écumer le littoral algérois. Ils découvrent alors de ravissantes petites maisons accrochées au flanc des rochers surplombant la Méditerranée. De Saint-Eugène à Cherchell en passant par les Deux Chameaux, Pointe Pescade, les Horizons Bleus , Bains Romains, Baïnem, Cap Caxine, Guyotville, La Madrague, et au-delà s’allonge un chapelet de petites stations balnéaires qui comblent d’aise les nouveaux estivants.
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Certains trouvent à louer de minuscules cabanons aérés de superbes terrasses qui affleurent la mer contrairement aux cabanons de Provence qui dorment  dans les terres. Ces unités de bonheur sont prétextes à de somptueux étés qui réunissent les familles autour d’une paella, d’un couscous ou d’une bouillabaisse pêchée le jour même par des cabanonniers.
La terrasse commune, centre de ralliement d’une  jeunesse affamée au sortir du bain, devient restaurant à ciel ouvert où chacun déjeune chez soi et chez les autres, perpétuant, ainsi, une tradition instituée sur les balcons de la ville.
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Parfois, un enfant désobéissant à la peau moins mâte que la plupart de ses camarades, rentre de la plage le corps brûlé par le soleil et la tête surchauffée. Intervient alors, une femme du cabanon, spécialiste des incantations qui « enlèvent le soleil ». Pour « redonner la santé au petit, le pauvre ! » , elle fait bouillir une bassine d’eau salée. Et tient au dessus de la tête du petit « qui ressemble à un écrevisse » un verre d’eau froide. Dans un silence stupéfait, la détentrice de ce pouvoir hors du commun, lance au ciel des prières chuchotées. Se produit, alors, un phénomène inexplicable et inexpliqué, l’eau du verre se met à imiter l’eau de la bassine ; elles bouent toutes deux de concert et l’enfant toujours rouge comme un écrevisse peut reprendre ses jeux sans ressentir le moindre symptôme et la moindre gêne. Ces femmes détentrices d’un don transmissible de mères en filles, vénérées par les uns, redoutées par les autres, constituaient un rempart indiscutable contre le « coup de soleil.
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Après le repas, les hommes s’étirent dans leur chaise-longue, les enfants contraints par l’autorité parentale d’attendre la fin de la digestion pour descendre à la plage, s’emparent de grosses chambres à air pour taper la sieste, les femmes « tchortchorent » à mots couverts pour ne pas troubler la quiétude du cabanon après avoir terminé la vaisselle à la plage en utilisant le sable et la mer comme produits nettoyants
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Après un bon bain réparateur, les hommes tapent le match du siècle sur un terrain de fortune avoisinant, sous les encouragements endimanchés de fou-rires, railleries et engueulades « pour de faux ». Il y a là  « ceux qui z’en touchent pas une au football », « ceux que la ficelle de leur cuissette elle tient pour l’amour de Dieu », « ceux qui perdent leurs savates à chaque tir », « ceux qui ahanent même que leurs femmes elles se font un de ces mauvais sang », « ceux qui se prennent pour un autre », « ceux qui jouent personnel », «  ceux qui arrêtent le jeu à tout bout d’champ en prenant le ballon dans les mains », «  ceux qui voient des fautes partout », « ceux qu’à chaque bobo y z’appellent l’hôpital », « ceux qui », « ceux quoi ». Chacun se cherche une excuse pour une passe ratée, un dribble inopportun ou une « roue libre ». C’est la faute au couscous qui remonte, à une jolie spectatrice qui fait chavirer les cœurs, à « ce terrain pourri que plein de faux rebonds il a, alors! ».  Quant au gardien de but, lazzis et quolibets accompagnent chacune de ses interventions, il est vrai, assez peu orthodoxes. Affublé de termes déshonorants tels « passoire », « panier percé », « entrez, c’est gratuit », « goffa» le dernier rempart est toujours responsable de la défaite « imméritée » de son équipe. Heureusement, la bonne humeur communicative des spectateurs efface toutes les remontrances et rodomontades sitôt la partie achevée. 
Pour terminer la journée, un bal improvisé réunit les jeunes et les vieux, entre « Cumparsita » et « Rock around the clock » avant le dîner pris en commun et le traditionnel tournoi de belote ou de rami qui se termine lorsque les bâillements aux corneilles empêchent les joueurs de s’engueuler. Morphée accueille alors tout ce petit monde impatient d’aussi joyeux  lendemains.
Certains soirs, les cabanonniers se glissent dans l’habit noctambule. Le cinéma plein air  et les fêtes de villages se partagent alors leurs faveurs. Des Bains Romains à la Madrague, des Deux Moulins à Cherchell, une succession de spectacles, cirques, radio-crochets jettent les estivants dans les rues et sur les places où jeunes gens et jeunes filles se comptent fleurette, libérés pour un soir de  la surveillance omniprésente des parents. Le cinéma plein air accueille la jeunesse qui savoure ce plaisir incomparable de regarder un film, caressée par la légèreté d’une brise marine enjôleuse, un petit pull jeté négligemment sur les épaules, sous un ciel constellé de petites lucarnes étoilées. Qui n’a pas ressenti ce bonheur là au cours des nuits chaudes d’Alger ne peut épouser la nostalgie des gens de Bab El Oued qui évoquent ces instants privilégiés avec des sanglots dans la voix.
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A SUIVRE.................





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