III. - LE SANG DES RACES
En 1898, ayant rencontré au cours d'une promenade au Frais-Vallon, un charretier espagnol, il se lia d'amitié avec lui. Puis il l'accompagna au cours d'un de ses voyages dans le sud, jusqu'à Ain-Oussera, devenu par la suite Paul Cazelle, à 55 kilomètres au sud de Boghari, sur la route de Djelfa Laghouat, où il passa la nuit de Noël en compagnie de " rouliers " qui ", faisaient " la route du Sud. C'est de cette aventure que sortit, publié en 1899, son premier roman algérien, Le sang des races.
Dans cet ouvrage, Louis Bertrand évoque les randonnées de ces charretiers qui partaient d'une immense remise, " le Roulage ", située entre la rue Tancrède et les portes d'Isly. Randonnées rendues pénibles par le climat et par l'état des routes empierrées, ainsi que par la longueur des étapes.
Mais les figures centrales sont des Espagnols dont les familles habitent Bab-el-Oued. Ils se nomment Raphaël, le personnage principal, Ramon, Canete, la tia Pépa.
Il nous dépeint, dans leur milieu, tous ces gens chassés d'Espagne par les guerres civiles, mais, surtout, par la misère. Ils ont trouvé en Algérie un travail abondant qui leur permet de vivre et de manger à leur faim. " Tous, nous dit-il, rompent avec joie le jeûne ancestral. " Ils apportent avec eux " cette endurance à la peine des peuples et des races dont l'énergie a longtemps sommeillé. "
Ils arrivent par vagues successives, parfois par familles entières, par balancelles. Les nouveaux débarqués se présentent vêtus d'un pantalon collant, d'une blouse noire et, parfois, drapés dans leur " alhammar ", couverture de laine rouge à carreaux. Les femmes portent encore la mantille et, le dimanche, de larges robes évasées.
Les nouveaux venus, nécessairement, se nourrissent d'une manière très sobre, mangeant beaucoup de pommes de terre, ce qui leur vaut, de la part de ceux qui les ont précédés, le surnom de " pataouétés ", mangeurs de patates.
Les plus anciennement établis voient d'un mauvais oeil les vagues de leurs compatriotes qui suivent leurs traces, risquant de leur disputer leurs emplois ou d'en faire baisser la rémunération. " Ils ne peuvent pas rester chez eux, ces pataouètes d'Espagne. s'écrie Raphaël le charretier, en place de venir ici nous apporter leur misère et leurs poux ! "
Parfois, certains éprouvent le besoin de revoir leur pays d'origine Ils en reviennent déçus et Raphaël, de retour d'un voyage à Valence, atteste cette déception. " En voilà un pays de sauvages ", proclame-t-il.
Peu à peu, pourtant, ces " gens de toutes les nations " se mêlent par mariage et cela donne, au dire d'André Gide, qui séjourna alors à Alger, " une race nouvelle, orgueilleuse et hardie " qui, selon Camus, " a mis tous ses biens sur cette terre ". On comprend mieux alors le titre du roman : Le sang des races.
L'opinion publique, surtout dans les milieux bourgeois d'Alger, fit un accueil détestable. On se déclarait outré du langage très cru aux personnages du roman et aussi de la nature de ces personnages, issus du petit peuple algérois.
Louis Bertrand n'en avait cure. Bien plus, il lança aux puristes le honnissaient une manière de défi. Il voulut démontrer qu'il savait monde et qu'il ne prenait pas uniquement ses repas dans les gargote! dans les " posadas ".
Un certain soir, donc, les élégants d'Alger purent le voir attablé, impeccablement vêtu dans l'un des restaurants les plus renommés de la ville. Mais il avait invité à sa table un robuste et magnifique roulier habillé costume traditionnel des conducteurs de chariots : courte blouse noire à plis, taillote rouge, ample pantalon de velours sombre, bleu, serré à la cheville par de bonnes espadrilles. Inutile de dire que le scandale fit grand bruit. Mais Louis Bertrand s'en souciait comme d'une guigne ou de sa première culotte et il avait davantage souci de l'opinion des charretiers, pêcheurs et autres gueux qu'il avait dépeint dans son roman.
Au lendemain de la sortie du livre, il écrivait à Joachim Gasquet de ses anciens élèves d'Aix, devenu ensuite son ami : " Vous le dirais-je ? Ce qui m'a le plus touché, c'est la sympathie des braves gens dont j'ai écrit l'histoire. L'un d'eux, qui ne sait pas lire, m'a demandé la Revue de Paris (où Le sang des races avait paru par parties successives, avant d'être édité dans son texte complet), pour se la faire déchiffrer par une voisine qui est allée à l'école. Beaucoup ont lu les journaux d'Alger où mon roman était annoncé, me demandant quand il paraîtra et me promettant de l'acheter. Je voudrais pouvoir le leur donner à tous !
Je vous le répète, parce que je n'ai jamais eu d'émotion d'amour- propre plus enivrante, cette sympathie .des pauvres gens est ma meilleure récompense ! "
Le sang des races parait en 1899.
Extrait d'un article de Paul MANGIONIn l'Algérianiste n° 20 et 21 des 15 décembre 1982 et 15 mars 1983
bonjour
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu le Livre mais a la lueur de l'article il apparaît comme une fresque vivante qui relate la vie des premiers colons qui a mon avis n'avaient rien a envier aux autochtones arabes .Ce livre est donc une manière de narguer les plus aisés qui ont bâti des fortunes colossales sur le dos des pataouétés. un livre qui semble porter une profonde réflexion sur ce qu'était la vie des gens de cette époque
c'est un livre qui vient combler le vide culturel à cette époque , un livre qui incite les europiens de toutes les races à venir s'installer ici .et faire par naitre par là une race toute nouvelle .....hakim
SupprimerAh que voilà un livre intéressant ! il retrace la vie de mes aïeux espagnols et suisses et cocher-charettiers-conducteurs de voitures à cheval, tous implantés à la Basseta entre 1883 et 1913 entre le 15 rue des Moulins, le 1 rue de Phalsbourg et le 3 rue du Lavoir. Des nom de rue que Hubert Zakine connait bien...
RépondreSupprimerJ'ai immédiatement comblé ma curiosité et acquis ce bouquin dans son édition de 1899 juste à la fin de la lecture de cet article et me languis de lire ce livre. Il va pouvoir m'aider à décrire mes aïeux dans leur arbre généalogique à cette adresse : https://gw.geneanet.org/bartle13?lang=fr&n=ravis&nz=ravis&oc=0&ocz=0&p=albert+pierre&pz=francois+alexandre&type=tree
Merci Hubert pour cette publication ! :) grace à vous je vais pouvoir mieux découvrir la vie de la famille de mon grand-père paternel à la Basseta avant qu'orphelin il ait été adopté par Marseille.
A bientôt j'espère !
Jean-Christophe