lundi 21 mars 2011

LES AILES BLANCHES D'ALGER de Rosalind Ferrara -chapitre 4-

CHAPITRE 4

Emois et présages…

Petite fille, écoute, écoute encore et ne te lasse pas d’entendre les grandes feuilles des palmiers bercées par la légèreté de l’air si chaud, dans la transparence diaphane de la blancheur nacrée. Hélas ! Cette gloire défigurée ne sera un jour que le pauvre souvenir d’un bonheur fragile terni par bien des larmes amères troublant la coupe cristalline de ta mémoire d’enfant !
Frêle témoin d’un futur exil déroulant lentement son long linceul de tristesse, ton ingénuité n’a-t-elle pas discerné la cruauté des hommes projetant d'abolir ta mémoire ?
Celle-ci parle, pourtant, aujourd’hui, encore plus impérieusement que jamais, pour rendre sans faillir à tes parents l'impérieux devoir de mémoire, cette transmission de l'exacte vérité à ceux qui peuvent encore l'accueillir. Après la terrible descente aux enfers, ils t'avaient confié cette mission à toi, petite Rosalind, qui, à onze ans, connus trop tôt les grands drames causés par la guerre : selon une terrible Malédiction avec son lot monstrueux accablant d’amour, de haines et de trahison et de mort, lequel viendra maintes et maintes fois te hanter encore dans ta vie d’adulte !
Accablée par le sévère accueil que la Mère Patrie réservait à tes parents, les jetant dans le désespoir devant la trahison et la forfaiture de Celle qui promettait et qui n’a rien tenu.
Mais, pour l’instant, tu continuais de virevolter dans ta jolie robe en broderie anglaise, balançant, mutine, tes mignonnes nattes serties de rubans de soie, gracieuse, telle une princesse aux bras des grands. Et, pas une seconde, tes cavaliers ne soupçonnèrent combien tu avais conscience d’un voyage sans retour! Reviendra ou ne reviendra pas… ? Le jeu de marelle ne te répondra pas ! …
Hé oui, sous le ciel étincelant de ton Alger natal, tu voulais ressembler aux étoiles du ciel plus belles les unes que les autres, aux champs de marguerites fraîchement cueillies que tu effeuillais habilement. De même, tu
restais interdite devant les poussières d’or répandues en des milliers de nuées inouïes, dans les rayonnements du soleil entrés par une fenêtre ouverte…particules précieuses illuminant de splendeur ta sublime candeur. Oh ! Enfant, comme la vie était alors belle et comme elle t’aimait, toute auréolée par ta passion pour la musique, legs familial inscrit désormais dans tes gènes !
Antidote précieux, au trop plein des chagrins-ennemis surtout ceux à venir…
C’est vrai aussi, que ton coeur ouvert à l’amour, se voulait déjà consolateur des peines des grands.
Lors d’un voyage avec ton père à Lourdes, tout fut révélation : marche au flambeau, chemin de croix à genoux, vision inoubliable des grands malades à demi étendus sur leurs brancards encadrés par des religieuses-infirmières, l’eau précieuse de la grotte bue à même tes petites mains tendues vers l’espoir,
toute cette ambiance si particulière t’a marquée profondément d’un sceau indélébile, et, lorsque tu appris qu’ici les portes de l’hôtel ne fermaient pas à clefs, tu avais pour certitude que le Bon Dieu y était pour quelque chose, veilleur attentif des lieux ; sur les conseils de ton père, avant de t’endormir, tes petites mains jointes priaient, respectueuses, Marie pleine de grâces…
 Et puis, lovée sous les draps, tu conversais avec ton ange gardien, tu le pensais penché sur toi depuis un angle du plafond, toujours présent selon ton père, pour t’entourer d'une amicale protection. Lourdes, indicible découverte de tes premières spiritualités !...
Tant d’étonnement dans un tel climat de foi et d'immense félicité d’être… ! Enfantine prière si neuve et si douce, chuchotée à mi-voix, louanges délicatement murmurées, indéfectible signifiance, émouvante confiance de petite fille, si neuve et si avide déjà devant le mystère…
Tout cela entretenu par un père italien, croyant très fervent. Comment ne pas comprendre, alors, la construction poétique de cette petite fille, pour qui tout était simple bonheur, et l’importance majeure accordée à une sorte de boule de verre où une émouvante Bernadette, si on l’agitait imperceptiblement,
faisait pleuvoir des flocons neigeux, en des milliers de rêves !...
Imagination sans fin, peuplée d'anges et d’elfes impalpables, sur le chemin fleuri de la vie éternelle, imagination fertile et créatrice déjà condamnée par la cruauté des hommes à la fêlure irréparable de l’abandon du sol natal.
"Le vase où meurt cette verveine" a écrit un délicat poète.
Thème récurrent d’une histoire liée à la disgrâce d’exister même !...
Destin fatal ? Ne peut-on que subir ?… Des chuchotements, des ouï-diredes regards échangés, des bribes de conversations surprises : longs préludes, tristes violoncelles, lents présages de guerre, et l’évocation d’un mot revenant souvent «les fellaghas ».
Ces derniers, Rosalind, terrorisée, les voyait armés jusqu'aux dents, arpentant les montagnes, mystérieux fantômes, brigands de grands chemins, et même, dissimulés dans l’ombre, démoniaques mangeurs d’enfants, Son univers mental se peuplait, maintenant, d'êtres monstrueux. Ne Lente immersion d'un enfant innocent dans l'inimaginable horreur !
Elle avait l’intuition, au hasard de conversations des grands, que quelque chose se préparait comme une marée montante, une fin du monde impérieusement vivace et grandissante, grondante, monstre marin venu desprofondeurs obscures de la terre, de notre terre… aux racines abyssales, profondeurs de nos âmes sacrifiées !...
Bonheurs envolés, visions des gaietés de nos jeunes années, je n’oublierai jamais !...
Un appel vient vers moi, irrésistible.
Alger, planète interdite, nul ne peut s'opposer à l'envol intrépide de mes tendres pensées vers toi !…
Ah ! Alger, toi, l' héroïne du plus beau théâtre du monde, toi, la complice de tous mes éclats de rire comme autant de météorites de joies ! Rions à perdre haleine comme par le passé. Oui, cela revient, quoiqu’ils
en disent, ne sommes nous pas de malicieuses amies, fraternelles farceuses, merci, Alger, de m’aider à mettre en mots, à déclarer, ouvertement et inlassablement, comme nulle et non avenue la caricature que l'on fit de nous à la face du monde entier.
Riches et même richissimes coloniaux, nous ?
Nouveaux esclavagiste, nous ? Vous voulez rire ? La plupart des « pieds-noirs » n’étaient pas des gens particulièrement aisés, mais souvent de modeste condition, travaillant laborieusement toute leur vie pour avoir quelque bien à l'âge de la retraite. C’est pourquoi, Alger, je ne ménagerai point ceux qui nous ont calomniés. Sois en certaine, leurs incommensurables vilenies et cruautés leur reviendrons tel un boomerang...
En écho et avec joie, je redis après le poète :
"Princes, c'est pour vous que j'écris,
Attendez-vous à la pareille"
A SUIVRE LE CHAPITRE 5

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