Sylvio
GUALDA est né dans un modeste appartement de la rue Maxime NOIRET au
cœur de Bab El Oued. Il passe sa petite enfance à la maternelle de
la rue Rochambeau. A cette époque, son papa Maccario dirige l’un
des orchestres préférés des habitués de la piste de danse
d’Algérie. Qui n’a pas tenté sa chance sur les slows veloutés,
les tangos lascifs, les pasos endiablés, les rumbas ondoyantes de
l’orchestre MACKER.
Bon
sang ne saurait mentir. Le jeune Sylvio profite des jeudis et des
vacances que lui octroie l’enseignement primaire dont il
s’affranchit à l’école de la rue Franklin pour pousser la
chansonnette au sein de la formation de son père. Le « petit »
est doué pour le chant, donc pour la musique. Après l’étude du
piano, il se tourne sur les conseils du timbalier de Radio-Alger, le
professeur BLANQUAERT, vers la percussion. La voie royale ouvre,
alors, ses allées fleuries au jeune homme après l’obtention du
premier prix de l’Opéra d’Alger. Il quitte sa ville natale, son
quartier, sa maison pour un ailleurs indécis. Le voyage au large de
ses racines le déboussole et Paris ne le prend pas dans ses bras. La
volonté décuplée par l’adversité, Sylvio se fait un devoir de
faire découvrir la discipline de la percussion à la métropole. Le
scepticisme, voire l’incompréhension des musiciens devant ce
choix s’évanouissent au soir de son premier concert.
En
1968, à l’âge de vingt huit ans, il est nommé premier timbalier
solo de l’Orchestre National de l’Opéra de Paris. Tout
s’enchaîne alors. De grands compositeurs écrivent pour lui, il
est le premier percussionniste occidental invité par la Chine, la
SACEM lui décerne le grand prix en 1987 et après une période de
boulimie de concerts, il se consacre à l’enseignement. La France
l’honore en lui demandant de représenter son pays lors de
l’exposition universelle de Séville en 1998. Mais si l’honneur
le touche dans son approche de la musique, il sait que son pays est
là-bas, sur la rive orientale de la Méditerranée, de l’autre
côté de sa mémoire, à Bab El Oued. Son cœur alors bat la chamade
et cogne si fort qu’il croit entendre le percussionniste qui
sommeille en lui.
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Robert
CASTEL est le fils du maître du Chââbi, le grand, l’immense Lili
LABASSI. Bercé dès sa plus tendre enfance par la plainte des
mélopées judéo-arabes, le petit Robert MOYAL partage son temps
entre l’école Franklin, la musique orientale et le football à
l’A.S.S.E. Ses camarades de classe se souviennent de sa propension
à raconter des histoires drôles où son débit de paroles faisait
merveille. Son talent comique se révèle au grand jour au sein de
« la famille Hernandez » de Geneviève BAÏLAC dans le
rôle de « Paulo le bègue ». Sa notoriété franchit la
Méditerranée puis l’Atlantique. Après l’exode, une fantaisie
musicale écrite en collaboration avec Jacques BEDOS « la purée
de nous ôtres » lui permet d’élargir son registre de
comédien. Il interprète avec une très forte sensibilité des
chansons nostalgiques qui arrachent les larmes aux spectateurs et
spectatrices originaires de « là-bas ». Au cinéma, il
donne la réplique à Alain DELON dans « l’insoumis »
puis c’est le grand voyage aux côtés de son épouse Lucette
SAHUQUET. La mémoire au cœur, il invente un personnage, CAOUÏTO,
qui additionne les particularismes des enfants de Bab El Oued.
Cinéma, théâtre, télévision, il multiplie les apparitions qui
comblent d’aise ses compatriotes pieds noirs. Mais il n’oublie
pas pour autant la musique de son père et enregistre quelques
morceaux orientaux en jouant du violon, le corps de l’instrument
posé sur la cuisse, à la manière « Lili LABASSI ». Son
dernier enregistrement « Ô FRANCAIS DE FRANCE. » rend hommage
à son père, à son pays, à son quartier : Bab El Oued
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Lucky
STARWAY, alias Lucien SERROR, fait hélas partie de ceux qui
laissèrent la vie de l’autre côté de la Méditerranée. Chef
d’orchestre fortement influencé par les mélodies de Glenn MILLER,
d’où son patronyme, sa notoriété lui vaut de faire danser toute
une jeunesse au Casino de la Corniche, justement réputé par sa
situation exceptionnelle et son ambiance musicale de très haute
qualité. La bombe installée sous la scène par un employé musulman
tue et mutile à jamais ; parmi les victimes, le Chef
d’Orchestre, véritable « armoire à glace », montagne
de bonhomie et de gentillesse, musicien de talent, enfant de Bab El
Oued, de cette avenue de la Bouzaréah qu’il sillonna tant de fois
et qui résonne, encore de nos jours, de ces morceaux arrangés à la
sauce américaine.
Lucky
STARWAY fut accompagné par « son » peuple, « son »
quartier, « son » pays jusqu’à sa dernière demeure
rejoindre Glenn MILLER au Carnégie Hall de l’éternité.
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Philippe
CLAIR, Polo le bègue de la famille HERNANDEZ, fut l’un des
premiers enfants de Bab El Oued avec Robert CASTEL à connaître le
succès en métropole. En tapant sur « la Grande Zohra »
et les nouveaux maîtres de l’Algérie, il fit rire ses
compatriotes qui se retrouvèrent dans ses propos. Le baume au cœur
qu’il dispensait à ses frères de l’exil parvint aux oreilles
d’imprésarios qui lui firent enregistrer plusieurs 45 tours qui
s’arrachèrent. Appuyé sur un accent à couper au couteau, il se
lança dans le cinéma et plus particulièrement dans la réalisation
de films comiques. Avec Aldo MACCIONE et surtout Jerry LEWIS qui
accepta le rôle principal de « Par où t’es rentré, on t’a
pas vu sortir » (relevez la subtilité du titre !), il
connût la consécration. Le rire étant pour le français considéré
comme un art mineur, Philippe CLAIR semble avoir largué les amarres
d’avec le cinéma comme il le fit en quittant sa terre natale.
Définitivement ?
Nombreux
sont les musiciens qui sortent du rang. Lucien ATTARD, l’élégant
accordéoniste devenu chef d’orchestre à l’allure de dandy, une
rose à la boutonnière, qui charme les femmes du Tantonville où il
se produit lorsque ses contrats lui en laissent le loisir sous le
regard critique de son épouse, la chanteuse Mary Lou ; Pierre
MARC chef d’orchestre à la réputation flatteuse qui concurrence
Lucky STARWAY ; Henri RIERA qui débute à Bab El Oued avant de
réussir une brillante carrière à Paris ; Martial AYELA qui
connaît la consécration nationale en accompagnant Enrico MACIAS de
nombreuses années à l’instar de Michel GESINA de la Basséta et
qui enregistre une superbe chanson où il laisse transparaître sa
nostalgie de la ville natale « ALGER RETROVISION » ;
René COLL et son orchestre qui fait encore danser les pieds noirs
(et les autres) en métropole ; les chanteurs ne sont pas en
reste avec la douce et jolie Anita MORALES, mélange de Gloria LASSO
et DALIDA qui souffrit non pas de la comparaison mais seulement du
manque d’imprésario sérieux à Paris mais qui réussit sa
reconversion au sein de la « famille HERNANDEZ » ;
le trio LOS ALCARSON, enfants de la Basséta, à la voix de velours,
aux mandolines langoureuses et au répertoire puisant dans le large
registre de chansons hispanisantes qui, malgré quelques 45 tours de
belle facture, continue à officier dans les cafés de Bab El Oued à
la grande satisfaction d’une clientèle conquise; Luc DAVIS
« authentique pied noir » par ses origines antillaises,
cible affectueuse de Bab El Oued, à la voix chaude et envoûtante
qui cumule répertoire français et créole avec un égal bonheur,
accompagné par son pianiste de toujours, Pierre SISTE, les derniers
nés, enfants du trio RAISNER, les COMPAGNONS DE L’HARMONICA
imitent leurs aînés avec toute la fougue de leur jeunesse.
Tout
ce petit monde artistique se retrouve une fois par semaine aux
« galas du Marignan » devant une foule d’initiés ou,
plus prosaïquement, amateurs de chansons sous la houlette
d’animateurs locaux tels Jacques REDSON, Paul TRINCHANT, Jacques
BEDOS, PAULINET, le fameux chansonnier ou LANCAR surnommé DARBEZ,
de l’A.M.A.B.E.O, roi des comiques de Bab El Oued.
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Alger, terre de feu et de ciel, terre d’amour et de miel, de courage et de contrastes attire les artistes de tous poils. Les écrivains GIDE, MONTHERLANT, DAUDET, LOTI , FROMENTIN ouvrent la voie à toute une pléiade de plumitifs en mal d’inspiration.
Les
artistes-peintres découvrent, alors, l’exotisme aux portes de
Marseille. Un orientalisme qui va bouleverser leurs existences et par
delà, leur œuvre.
DELACROIX,
MARQUET, GERICAULT plongent en ce pays avec la force de leur peinture
dans le monde mystérieux d’un Orient fascinant. Ils enfanteront
nombres d’artistes reconnus ( DINET, LEROY, BROUTY ) qui
s’enticheront de la villa ABD EL TIF, maison mauresque sur les
hauteurs de Mustapha à la mesure de leur ambition et de leur
éblouissement. Regroupés sous le nom d’Ecole d’Alger, ces
peintres ressentent une certaine perception du pays qu’ils
délivrent au sein de leurs ouvrages. Les sculpteurs Paul BELMONDO
et André GRECK s’y rattachent, entraînant d’autres artistes
derrière eux. Des pieds noirs feront partie de cette école d’Alger.
Armand ASSUS, Emile AUBRY, Eugène DESHAYES, Marcello FABRI, Louis
FERNEZ, Augustin FERRANDO, Constant LOUCHE, Louis RANDAVEL.......
Bab
El Oued apportera sa modeste contribution à l’art pictural
algérien grâce à Sauveur GALLIANO « lauréat de la casa
VELASQUEZ », Vincent BAEDA, Yves BACARISAS qui fut également
pensionnaire de la Villa VELASQUEZ et quelques autres qui peignirent
leur terre natale avec pour seule ambition de conserver les images
heureuse du pays natal.
L’un
des plus grands compositeurs français Camille SAINT-SAENS qui se
rendit célèbre par son opéra SAMSON ET DALILA , sa DANSE
MACABRE et son CARNAVAL DES ANIMAUX s’ouvrit à ce pays avec
délectation. Il lui dédia en 1879 une SUITE ALGERIENNE majestueuse
dont nul ne sait si l’inspiration d’une telle œuvre ne lui fut
pas, pour tout ou partie, révélée par Bab El Oued qu’il arpenta
de long en large lors de ses nombreuses visites.
Il
mourut à Alger où il résidait en 1921 et la ville blanche lui
rendit hommage par son superbe Boulevard SAINT-SAENS
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