vendredi 18 novembre 2011

HORIZONS BLEUS de Hubert Zakine

OUVRAGE MIS EN LIGNE A SUIVRE CHAQUE SEMAINE
Ce matin y fait un p'tit chouïa frisquet. Avec Jacky, mon cousin de la cuisse droite, on est morts de faim. Comme tous les jours, zbarlala on se lève les premiers. Purée de tranquillité, j'vous dis pas! On n’entend rien d'autre que le bruit de la mer, en bas les escaliers. Un vrai régal!Sur les épaules, on jette négligemment un pull over pareil à James DEAN que Jacky il imite un maximum. Même que sa mère, tata Lisette, elle répéte à qui veut l'entendre que son fils c'est le plus beau du monde et des alentours. La pauvre, ma tante, qu'elle a besoin d'une bonne paire de lunettes. Comme celle d'Argento, l'épicier des Horizons Bleus. Cuilà, ma parole, s'il existait pas, y faudrait l'inventer. Ses éternelles binocles de laouère perchées sur son nez proéminent, sa calvitie, ses postillons et son bégaiement lui valent mille et un sobriquets d'une jeunesse persifleuse au possible. Chaque visite dans son capharnaüm qui lui sert de magasin, elle déclenche immanquablement hilarité et moquerie.
--" Avec çà fils?"
--"Du beurre arabe et du lait frais!"
J'adorai cette odeur quelque peu rance exhalée du beurre arabe que tout le monde y mélangeait au couscous garni de fèves cuites à la vapeur et de raisins secs.
Plus âgé que moi, mon cousin toujours y préparait l'Elesca, le Banania de l'époque que la publicité imaginée par le grand Sacha GUITRY : "l'Elesca, c'est exquis!" claque sur les murs d'Alger la blanche. Et lorsque bien calés sur nos tabourets face à notre Méditerranée, on mordait dans nos tartines de pain beurré dégoulinantes d'Elesca, on ressentait un bien-être incomparable.Mais aujourd'hui, tous les cabanoniers y se sont passés le mot pour nous interdire cette quiétude matinale. Grasse matinée interdite et tout le monde sur la terrasse pour accueillir les familles VALS, PAPPALARDO et BENSIMON qu'elles avaient annoncé leur arrivée pour neuf heures tapantes. Comme elle disait ma mère que c'est la sœur de tata Lisette :
" Y veulent pas qu'on leur déroule le tapis rouge, aussi!"
Total, elle en peut plus d'impatience de revoir ses amies qu'elles allaient se taper, comme chaque année, des kilos de rigolade.Purée, cette terrasse, dé! Un vrai tcherklala! Il est à peine neuf heures dépassées d'une minute et déjà les femmes elles se tapent le concours du plus gros paquet de mauvais sang
.--" Tu sais moi j'ai pas confiance avec ce tchichepoune de VALS que ses yeux y se croisent les bras !"
--" Bardah! Y boit pas de bon matin quand même ?"
--" Tu rigoles! Même la nuit y doit se lever pour taper l’anisette, ce kilo!"
Marinette, elle voyait des ivrognes partout. Y faut dire que son mari y se vantait de l'amitié de tous les patrons de cafés de Bab El Oued. En un mot comme en cent, y crachait pas sur la Liminana.

Pour ma part, tel un guépard épiant l'antilope, la bave aux lèvres, je mate avec une impatience à peine dissimulée l'instant où apparaîtra sur la terrasse commune la fine silhouette de Carmen VALS, même qu'on avait échangé notre premier baiser l'année précédente.Hélas, je comprends immédiatement que mon antilope, elle m'a tapé le plus beau lapin du monde et des alentours. Ses parents, ces babaos, y me l’ont envoyée passer ses vacances en métropole. Est-ce qu'on passe des vacances en métropole, j'vous le demande un peu quand on vit dans le plus beau pays du monde! Comme si l'air de chez nous c'est de la zoubia! Tout retourné, je suis! La tristesse, comme une smata, elle va pas me lâcher la jambe de tout l'été. Pendant toute l'année, un cinéma je m'étais fait. Et attention hein! un cinéma en scope et en couleurs, style « David et Bethsabée ». Mes lèvres, raïben, elles s'étaient entraînées à embrasser pire qu'aux jeux olympiques. Tout juste si je roulais pas des patins à mes amis, Georgeot et Victor qui sont vilains je vous dis pas. Total, j'me retrouve comme deux ronds de flan, solitaire parmi la foule, au fin fond de mon désespoir. J’exagère un peu, non ?

Mon père, lui, y nage dans le bonheur. Y tape le crawl, la brasse, le dos, le papillon. Presque il invente des styles nouveaux. Sans les mains, sans les pieds, à savoir! Ses grands copains VALS, PAPPALARDO et BENSIMON il va se les battre à plate couture à la belote et au rami-poker. Des retrouvailles aussi désintéressées, y'a pas, çà existe pas bezef! Chaque femme, elle met la main à la pâte pour installer les voisins prodigues. Ma mère et ses sœurs, déjà, elles préparent deux mille quatre cents neuf assiettes de kémia. "y vaut mieux faire envie que pitié!". Quant à la bouteille d'anisette, elle est blanche de confusion. On tape cinq en guise de bienvenue. On plaisante. On s'embrasse. On se donne des grandes claques dans le dos. A présent, le cabanon des Horizons Bleus il affiche complet en cet été 1957. Tout le monde, il est là. Grâce à Dieu!Nous autres, la jeunesse on est une chiée plus quinze mais aouah, y'a que des babaos. A part Jeannot Di Luca et Bernard Bensimon ! Quant aux filles, elles me donnent de l'urticaire et je puise dans l'absence de Carmen une férocité colossale à leur encontre. Y faut reconnaître que les filles du cabanon, cucu-la-praline et compagnie, j'vous dis pas. Les autres garçons, tous des fils à pèpe. Rien de commun avec moi, l'enfant de Bab-El-Oued, du matin au soir à jouer dans le quartier même que ma mère elle me propose toujours de "descendre mon lit à la rue".
A SUIVRE.....................



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire