EXTRAIT DE COMME ELLE DIT MA MERE QUE J'ECRIS ACTUELLEMENT
Dimanche, on
déjeune en quatrième vitesse. Méguéna avec des pommes de terre rôties et une
bonne salade verte. Même pas le temps d’avaler
un dessert et en avant nous autres pour la ruée Avenue Malakoff. Les
trois bandits, pipom, pipom, de Napoli, pipom, pipom, on presse le pas. On veut
arriver pour le match des réserves.
Autour de nous, sur le même trottoir, achno, la mouine. On dirait une
manifestation sans colère, sans cri,
que des gens heureux qui partage le
bonheur simple de supporter leur équipe de football. Pour un jour, on oublie
tout. Le manque d’argent, les devoirs à faire pour Lundi, la langue d’Annie, la
mauvaise foi de Roland qui préfère le Gallia, le gâteau de chez Prat qu’on a même
pas eu le temps de déguster. Ma mère, raïben, on lui a tout laissé à
faire. Même pas Jacky il a débarrassé la table, ce pourri. Mais elle est
contente parce que ses fils y se sont
morfalés tout le méguéna et que ses
sœurs elles vont passer l’après-midi à la maison.
Trois heures après,
le bonheur, j’vous dis pas ! Guaracino, il a tapé une olive à James, le
goal bel-abbésien qu’il a rien compris. 1 à 0, ça suffit à notre bonheur et
surtout on va marcher la tête haute dans Alger en regardant droit dans les yeux
les gallistes. Et si jamais, un y se risque à taper la réflexion, on lui
rappellera la tannée que le Gallia il a pris devant Bel Abbès : 5 à 2 dans
les gencives même que Roland presqu’y se suicide. Et toc !
A Alger, y fait
toujours beau. Sauf quand y pleut ! Putain, cette année, on dirait que le
bon dieu, il a des problèmes de prostate. Rien qu’il pisse ! Achno, la capitale, elle a juste le
temps de se sécher que de nouvelles trombes d’eau, elles nous inondent. Surtout
que Bab El Oued, à savoir pourquoi, des escaliers à tous les coins de rues
jusqu’à la mer. C’est comme si on avait demandé aux architectes de dessiner une
rue, tac, y fallait un escalier. Rien que dans mon quartier, y en a une chiée
plus quinze. Ceux de l’esplanade Guillemin, des rues Champlain, Koechlin,
Mazagran, Cavelier de la salle, Cadix et encore j’ai pitié de vous, je peux pas
tous les citer. Nous, les jeunes, on s’en fout des escaliers, on les monte (et
même on les descend) quatre à quatre mais les vieux, raïeb.
Tout ça pour dire
qu’en hiver, Alger, elle déverse les eaux de la casbah jusqu’à la mer. Quand y
pleut, mieux tu restes chez toi si tu veux pas ressembler à « vingt mille
lieues sous la mer ».
Y fait jamais froid
mais quand y pleut, y pleut. Ya pas de demi-mesure, soit y pleut, soit y fait
beau. Nous les chitanes, on s’adapte. Les entrées de maison, elles sont
envahies par des grappes d’enfants du quartier. On tape la belote assis par
terre, les concierges elles font exprès de jeter de la sciure de bois qu’elle
colle à nos chaussures trempées. Pour rien au monde, malgré la pluie, on
resterait chez nous. La rue, c’est notre seconde maison. Et puis, on peut pas
se passer des copains, encore moins des amis. On envie les grands qui peuvent se
mettre à l’abri dans les cafés. Nous autres, on a seulement le droit de jouer
au ping-foot. Alors, quand y a une accalmie, on fait l’avenue en évitant les
flaques d’eau mais aouah, chacun rentre bien vite dans son quartier en attendant
que le soleil y réapparaisse. Les rues, elles aussi, elles s’ennuient à mourir.
Raïben,
les femmes elles se rabattent sur les paliers, et vas-y que ça tchortchore
jusqu’à la nuit tombée. Y a que les muettes qui parlent pas. Comme elle
dit ma mère, les voisines qui restent cloitrées chez elle, si ça dure, mieux,
elles meurent.
Nous autres, la
bande du quartier, à force, à force, on devient neurasthéniques. Même pas, on
rit ! Tain, le quartier, il est triste. Triste, karse et
soued. C’est dire !
Pendant une
semaine, le bon dieu, il a pissé sans discontinuer. De temps en temps, un rayon
de soleil y traçait un arc en ciel même que des superstitieux y prétendent que
le bon dieu y marie sa fille. N’importe quoi ! Le mariage y durait dix
minutes et le père de la mariée, ça lui reprenait l’envie de pisser. La vérité,
moi si j’suis le bon dieu, je m’fais opérer d’la prostate!
You, you you. Un matin, en ouvrant les persiennes de ma
chambre, le ciel y me sourit. Tout bleu,
comme un ciel d’Alger. Normal, quoi ! Hamdoulah ! L’hibernation elle
est r’lass,
finie, terminée. Le bon dieu, il a refermé sa braguette et rentré son p’tit
oiseau. En plus, il a attendu jeudi pour s’endimancher. Monsieur, y fait le beau.
Châ,
on va pouvoir faire l’andar et venir avenue
de la Bouzaréah. Annie, elle va vouloir me cracher dans la bouche, le Jardin
Guillemin y va ressembler à nouveau à un jardin d’enfants avec les mères qui leur
crient dessus, le garde y va mater les femmes qui donnent à téter à leurs bébés,
on va pouvoir se faire les plaies et les bosses et puis, ya les filles qui jouent à la corde, le marchand
d’oublis et son pied bot et les traditionnels enfants pleureurs que les mères,
même pas elles les consolent, trop occupées à dire du mal de la voisine, enfin
tout un monde que je reconnais comme ma famille tellement y font partie de mon
environnement. Bien sûr, y a toujours l’école que j’ai toujours en horreur mais
que veux-tu que la bonne y fasse.
Ça y est, c’est
sûr, cette semaine, je tape cao pour faire comme tout l’monde.
Faire manca oura, çuila qui l’a jamais fait, c’est pas un
homme ! Alors, comme j’ai pas envie que les copains y me prennent pour une
tapette…….
Remarque celui qui
dit ça, mieux y va se cacher parce que si je l’attrape, je lui fais la tête
comme un camembert.
Déjà, je sais où
j’vais aller pour que personne y me mette les yeux dessus. Qui me voit, si vous
préférez. Avec Attia, on ira au Midi-Minuit, où le bon dieu, il a perdu ses
babouches, en ville comme ça, personne y nous reconnaitra. Et puis, après,
j’espère que les samotes qui me demandent de prouver que je suis un mac en tapant cao, y vont me lâcher, définitivement, la grappe.
Vous avouerez que j’suis parote de me prêter à ces
enfantillages (zarmah, je suis
grand). La vérité, qu’est-ce que j’en ai à faire des élucubrations (waouh, ce
mot) de ces ignares. Comme elle dit ma mère quand on lui reproche quelque
chose, elle répond : bien faire et laisser dire. Ma mère, c’est la sagesse
même ! Elle pourrait
choisir cette expression beaucoup plus explicite : Parle à mon cul,
ma tête est malade ! Mais, ma mère à moi, elle est polie. Qu’est-ce vous
croyez ? Que dans la casbah dans les années 10, on parlait comme des charretiers ?
Sa mère, ma grand-mère, si un de ses enfants y disait un gros mot, elle lui
frottait la bouche avec du piment ! Nous autres, on a hérité de ce respect
dû aux grandes personnes mais seulement aux grandes personnes parce que la rue
toute entière, elle rougirait d’entendre le parler des chitanes entre eux,
plein de grossièretés les unes plus vilaines que les autres.
Après ce cours de
savoir-vivre en société, revenons à nos moutons.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire