lundi 17 avril 2017

EXTRAIT DE COMME ELLE DIT MA MERE DE HUBERT ZAKINE



EXTRAIT DE COMME ELLE DIT MA MERE QUE J'ECRIS ACTUELLEMENT

Dimanche, on déjeune en quatrième vitesse. Méguéna avec des pommes de terre rôties et une bonne salade verte. Même pas le temps d’avaler  un dessert et en avant nous autres pour la ruée Avenue Malakoff. Les trois bandits, pipom, pipom, de Napoli, pipom, pipom, on presse le pas. On veut arriver pour  le match des réserves. Autour de nous, sur le même trottoir, achno, la mouine. On dirait une manifestation sans colère, sans  cri, que  des gens heureux qui partage le bonheur simple de supporter leur équipe de football. Pour un jour, on oublie tout. Le manque d’argent, les devoirs à faire pour Lundi, la langue d’Annie, la mauvaise foi de Roland qui préfère le Gallia, le gâteau de chez Prat qu’on a même pas eu le temps de déguster. Ma mère, raïben, on lui a tout laissé à faire. Même pas Jacky il a débarrassé la table, ce pourri. Mais elle est contente parce  que ses fils y se sont morfalés  tout le méguéna et que ses sœurs elles vont passer l’après-midi à la maison.
Trois heures après, le bonheur, j’vous dis pas ! Guaracino, il a tapé une olive à James, le goal bel-abbésien qu’il a rien compris. 1 à 0, ça suffit à notre bonheur et surtout on va marcher la tête haute dans Alger en regardant droit dans les yeux les gallistes. Et si jamais, un y se risque à taper la réflexion, on lui rappellera la tannée que le Gallia il a pris devant Bel Abbès : 5 à 2 dans les gencives même que Roland presqu’y se suicide. Et toc !

A Alger, y fait toujours beau. Sauf quand y pleut ! Putain, cette année, on dirait que le bon dieu, il a des problèmes de prostate. Rien qu’il pisse !  Achno, la capitale, elle a juste le temps de se sécher que de nouvelles trombes d’eau, elles nous inondent. Surtout que Bab El Oued, à savoir pourquoi, des escaliers à tous les coins de rues jusqu’à la mer. C’est comme si on avait demandé aux architectes de dessiner une rue, tac, y fallait un escalier. Rien que dans mon quartier, y en a une chiée plus quinze. Ceux de l’esplanade Guillemin, des rues Champlain, Koechlin, Mazagran, Cavelier de la salle, Cadix et encore j’ai pitié de vous, je peux pas tous les citer. Nous, les jeunes, on s’en fout des escaliers, on les monte (et même on les descend) quatre à quatre mais les vieux, raïeb.
Tout ça pour dire qu’en hiver, Alger, elle déverse les eaux de la casbah jusqu’à la mer. Quand y pleut, mieux tu restes chez toi si tu veux pas ressembler à « vingt mille lieues sous la mer ».
Y fait jamais froid mais quand y pleut, y pleut. Ya pas de demi-mesure, soit y pleut, soit y fait beau. Nous les chitanes, on s’adapte. Les entrées de maison, elles sont envahies par des grappes d’enfants du quartier. On tape la belote assis par terre, les concierges elles font exprès de jeter de la sciure de bois qu’elle colle à nos chaussures trempées. Pour rien au monde, malgré la pluie, on resterait chez nous. La rue, c’est notre seconde maison. Et puis, on peut pas se passer des copains, encore moins des amis. On envie les grands qui peuvent se mettre à l’abri dans les cafés. Nous autres, on a seulement le droit de jouer au ping-foot. Alors, quand y a une accalmie, on fait l’avenue en évitant les flaques d’eau mais aouah, chacun rentre bien vite dans son quartier en attendant que le soleil y réapparaisse. Les rues, elles aussi, elles s’ennuient à mourir. Raïben, les femmes elles se rabattent sur les paliers, et vas-y que ça tchortchore jusqu’à la nuit tombée. Y a que les muettes qui parlent pas.  Comme elle dit ma mère, les voisines qui restent cloitrées chez elle, si ça dure, mieux, elles meurent.
Nous autres, la bande du quartier, à force, à force, on devient neurasthéniques. Même pas, on rit ! Tain, le quartier, il est triste. Triste, karse et soued. C’est dire !
Pendant une semaine, le bon dieu, il a pissé sans discontinuer. De temps en temps, un rayon de soleil y traçait un arc en ciel même que des superstitieux y prétendent que le bon dieu y marie sa fille. N’importe quoi ! Le mariage y durait dix minutes et le père de la mariée, ça lui reprenait l’envie de pisser. La vérité, moi si j’suis le bon dieu, je m’fais opérer d’la prostate!
You, you you. Un matin, en ouvrant les persiennes de ma chambre, le ciel  y me sourit. Tout bleu, comme un ciel d’Alger. Normal, quoi ! Hamdoulah ! L’hibernation elle est r’lass, finie, terminée. Le bon dieu, il a refermé sa braguette et rentré son p’tit oiseau. En plus, il a attendu jeudi pour s’endimancher. Monsieur, y fait le beau. Châ, on va pouvoir faire l’andar et venir  avenue de la Bouzaréah. Annie, elle va vouloir me cracher dans la bouche, le Jardin Guillemin y va ressembler à nouveau à un jardin d’enfants avec les mères qui leur crient dessus, le garde y va mater les femmes qui donnent à téter à leurs bébés, on va pouvoir se faire les plaies et les bosses et puis, ya  les filles qui jouent à la corde, le marchand d’oublis et son pied bot et les traditionnels enfants pleureurs que les mères, même pas elles les consolent, trop occupées à dire du mal de la voisine, enfin tout un monde que je reconnais comme ma famille tellement y font partie de mon environnement. Bien sûr, y a toujours l’école que j’ai toujours en horreur mais que veux-tu que la bonne y fasse. 

Ça y est, c’est sûr, cette semaine, je tape cao pour faire comme tout l’monde. Faire manca oura, çuila qui l’a jamais fait, c’est pas un homme ! Alors, comme j’ai pas envie que les copains y me prennent pour une tapette…….
Remarque celui qui dit ça, mieux y va se cacher parce que si je l’attrape, je lui fais la tête comme un camembert.     
Déjà, je sais où j’vais aller pour que personne y me mette les yeux dessus. Qui me voit, si vous préférez. Avec Attia, on ira au Midi-Minuit, où le bon dieu, il a perdu ses babouches, en ville comme ça, personne y nous reconnaitra. Et puis, après, j’espère que les samotes qui me demandent de prouver que je suis  un mac en tapant cao,  y vont me lâcher, définitivement, la grappe. Vous avouerez que j’suis parote de me prêter à ces enfantillages (zarmah, je suis grand). La vérité, qu’est-ce que j’en ai à faire des élucubrations (waouh, ce mot) de ces ignares. Comme elle dit ma mère quand on lui reproche quelque chose, elle répond : bien faire et laisser dire. Ma mère, c’est la sagesse même ! Elle pourrait  choisir cette expression beaucoup plus explicite : Parle à mon cul, ma tête est malade ! Mais, ma mère à moi, elle est polie. Qu’est-ce vous croyez ? Que dans la casbah dans les années 10, on parlait comme des charretiers ? Sa mère, ma grand-mère, si un de ses enfants y disait un gros mot, elle lui frottait la bouche avec du piment ! Nous autres, on a hérité de ce respect dû aux grandes personnes mais seulement aux grandes personnes parce que la rue toute entière, elle rougirait d’entendre le parler des chitanes entre eux, plein de grossièretés les unes plus vilaines que les autres.
Après ce cours de savoir-vivre en société, revenons à nos moutons.
 

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