vendredi 6 janvier 2017

extrait de MA MERE, MES TANTES, L'ALGERIE ET MOI de Hubert Zakine



MES QUATORZE ANS !

Un homme dans la religion juive mais un petit bout de zan pour mes tantes. Un bout de Zan comme avait l’habitude d’apostropher les femmes de la famille pour désigner les enfants. « On lui presse le nez, il coule encore du lait ! » commentaient-elles le désir de mes cousines pressées de jouer les femmes fatales. « Les bouts de zan ne portent pas de soutien-gorge ! ». Pour ma part, je ne me sentais plus un enfant, pas encore un adolescent, encore moins un homme. Du moins, le pensais-je. A vrai dire, cette question était loin de m’obséder tant mon enfance déployait de palettes de séduction pour me garder dans ses filets. Même si, à l’instar de mes amis, je succombais au plaisir d’entrer dans un café pour paraitre un jeune homme, plus d’une fois, je me laissais séduire par une rencontre de football au jardin  Guillemin. Il me suffisait, en rentrant de « l’andar et venir » propre à la jeunesse du faubourg, de relever mes bas de pantalon et de suivre mon instinct.
En fait, je ne m’étais jamais réellement posé la question de savoir si la rue de mon enfance m’attirait toujours. Est-ce que j’étais toujours l’enfant des rues de mon enfance qui oubliait l’heure du déjeuner pour une partie de noyaux ?

Ou bien étais-je devenu, sans vraiment me rendre compte, un adolescent dont le duvet qui couronnait les lèvres attestait son âge ou un homme que la religion juive avait émancipé? J'élimine d'office la troisième hypothèse car j'ai bien le temps de ressembler à mes oncles. Je ne suis plus un enfant bien que mes tantes semblent considérer que je suis encore à l'école maternelle. En exagérant, je pourrais dire qu’elles regrettaient surement que je ne sois plus l’enfant obéissant de jadis. Donc je suis un adolescent en vertu de l'attirance que je ressens en croisant une jolie midinette. D'ailleurs, ma petite voisine qui passe son temps au balcon semble me trouver à son goût mais, à l'instar des filles de mon pays, elle est l’objet de toutes les attentions de ses parents. Ça ne l’empêche pas de répondre à mes sourires complices lorsque sa mère est occupée aux tâches ménagères dont raffolent les femmes de ce pays. Il faut dire que son balcon surplombe le mien et, à part l’école, elle ne sort jamais seule. Aussi, à la moindre occasion, elle s’aère l’esprit en espionnant chez moi.
Heureusement qu'au jardin, je peux laisser libre cours au jeu numéro un de la jeunesse algéroise : la drague. Loin des interdits des adultes, je me berce de douces illusions de l'amour en herbe qui pousse dans les cœurs maladroits. Et à ce jeu je ne crois pas être le moins dégourdi. Tata Rose a compris que le jeune papillon avait pris son envol d’apprenti- séducteur. L'amitié des rues se transformait et tissait sa toile sur d'autres jeux plus en rapport avec notre âge. On ne se roulait plus parterre, on montait en ville pour faire comme les grands. Au passage, on s'arrêtait au magasin de ma mère. Elle nous offrait souvent une pâtisserie chez Fille, le nec plus ultra des pâtissiers Algérois puis nous grimpions jusqu'à la Grande Poste quand nous n’allions pas au cinéma puis nous retournions à Bab El Oued, heureux de notre après-midi. Nous retrouvions, alors, la cohue bon enfant de notre jardin Guillemin et mes inquisitrices.
--D'où tu viens, mon chéri ? Me lançait tante Cécile toujours aimable au premier abord.
--On est montés en ville !
--Et pourquoi, tu es pas bien ici ?
A quoi me servirait une réponse qui n'entraînerait que remontrances ?
--Tu sembles oublier les attentats du FLN ; alors, pas la peine de nous faire faire du mauvais sang.
J'aimais bien le nous.
--Que dieu nous en préserve ! Laisse-lui vivre sa jeunesse ! J'adore tata Rose ! Et c'était toujours la même rengaine.
Mais il était dit que mes tantes me mettraient les yeux tout au long de ma jeunesse. Le lendemain de cette remontrance, la bande du jardin Guillemin décida de taper un match sur le petit stade de hand-ball qui jouxtait le grand stade Marcel Cerdan. Pour la première fois, nous allions jouer avec un vrai ballon de foot reçu en cadeau d’anniversaire par le jeune frère de Victor. Dès que j’eus touché le ballon, ma jambe vrilla et la partie s’acheva dans la confusion. Mon genou avait doublé de volume et le retour ressembla à une retraite de Russie. Roland, Victor et Jacky se relayèrent pour me prêter leurs épaules. Je ne pus m’empêcher, tout au long de la route, de lancer des « tiassardo » longs comme le bras à l’encontre de mes tantes que je rendis responsables de mon calvaire. Je pus également, constater que ma mésaventure fut le prétexte  de fréquentes plaisanteries de la bande d’ahuris qui se prétendait mes amis. Mais je savais que si le sort avait été contraire, j’aurais été le premier à m’en amuser.
L’affolement de mes tantes fut un véritable calvaire qu’il me fallut supporter. Pas assez la douleur ! Les reproches succédèrent aux supplications.
--Tu vois, je te l’avais dit ! Il peut pas rester tranquille !
--Il faut bien que jeunesse se passe !
--Oui mais pas à nos dépens !
Ça y est, je redeviens le fils de mes tantes. En quoi, mon accident est leur accident ? A les écouter se lamenter, j’aurais fait exprès de m’esquinter le genou pour le simple plaisir de leur jouer un tour. De les embêter. De leur nuire. De leur causer du mauvais sang ! Quel sans cœur, je suis ! Je ne pense qu’à moi ! Mes pauvres mères de substitution sans défense, je devrais me battre la coulpe jusqu’à la saint glin-glin afin qu’elles dorment sur leurs deux oreilles. Devenir un enfant sage comme une image, jouer à la marelle avec mes cousines, lire Madame de Sévigné. Oh mes tantes !  Je suis un garçon ! Qui se bat dans la rue et qui monte aux arbres. Qui essaie de bécoter les filles dans les entrées de maison. Qui ne se roule plus parterre mais qui se laisserait bien tenter.
Et puis, vous n’êtes pas ma mère ! Ma mère, c’est votre sœur. Vous vous rappelez, elle s’appelle Mélanie ! Alors lâchez-moi ou alors plaignez-moi mais par pitié, comme dirait mon ami Roland, « lâchez-moi la grappe, c’est pas les vendanges ! » La vérité, elles m’énervent avec leurs jérémiades ! Au lieu de s’apitoyer sur mes déconvenues comme le feraient des tantes normalement constituées. Au contraire, les sœurs de ma mère, fortement imprégnées de leur éducation de la casbah judéo-arabe, mêlent le mauvais sang, les reproches et les lamentations. Et par-dessus tout, les supplications envers le bon dieu qui  ne les écoute plus tant elles doivent le fatiguer. Se retrancher derrière la fatalité orientale qui bien souvent les a secondées, c’est la seule manière d’aborder mon cas qui n’est pas à proprement parler une affaire d’état. Hélas,  dès qu’elles ouvrent la bouche c’est pour en rajouter une couche. Amman, qu’est-ce qu’elles aiment se lamenter ! En Israël, le mur des lamentations deviendrait leur maison.

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