MES QUATORZE
ANS !
Un
homme dans la religion juive mais un petit bout de zan pour mes tantes. Un bout
de Zan comme avait l’habitude d’apostropher les femmes de la famille pour
désigner les enfants. « On lui presse le nez, il coule encore du
lait ! » commentaient-elles le désir de mes cousines pressées de
jouer les femmes fatales. « Les bouts de zan ne portent pas de
soutien-gorge ! ». Pour ma part, je ne me sentais plus un enfant, pas
encore un adolescent, encore moins un homme. Du moins, le pensais-je. A vrai
dire, cette question était loin de m’obséder tant mon enfance déployait de
palettes de séduction pour me garder dans ses filets. Même si, à l’instar de
mes amis, je succombais au plaisir d’entrer dans un café pour paraitre un jeune
homme, plus d’une fois, je me laissais séduire par une rencontre de football au
jardin Guillemin. Il me suffisait, en
rentrant de « l’andar et venir » propre à la jeunesse du faubourg, de
relever mes bas de pantalon et de suivre mon instinct.
En
fait, je ne m’étais jamais réellement posé la question de savoir si la rue de
mon enfance m’attirait toujours. Est-ce que j’étais toujours l’enfant des rues
de mon enfance qui oubliait l’heure du déjeuner pour une partie de
noyaux ?
Ou
bien étais-je devenu, sans vraiment me rendre compte, un adolescent dont le
duvet qui couronnait les lèvres attestait son âge ou un homme que la
religion juive avait émancipé? J'élimine d'office la troisième hypothèse car
j'ai bien le temps de ressembler à mes oncles. Je ne suis plus un enfant bien
que mes tantes semblent considérer que je suis encore à l'école maternelle. En
exagérant, je pourrais dire qu’elles regrettaient surement que je ne sois plus
l’enfant obéissant de jadis. Donc je suis un adolescent en vertu de l'attirance
que je ressens en croisant une jolie midinette. D'ailleurs, ma petite voisine
qui passe son temps au balcon semble me trouver à son goût mais, à l'instar des
filles de mon pays, elle est l’objet de toutes les attentions de ses parents.
Ça ne l’empêche pas de répondre à mes sourires complices lorsque sa mère est
occupée aux tâches ménagères dont raffolent les femmes de ce pays. Il faut dire
que son balcon surplombe le mien et, à part l’école, elle ne sort jamais
seule. Aussi, à la moindre occasion, elle s’aère l’esprit en espionnant
chez moi.
Heureusement
qu'au jardin, je peux laisser libre cours au jeu numéro un de la jeunesse
algéroise : la drague. Loin des interdits des adultes, je me berce de
douces illusions de l'amour en herbe qui pousse dans les cœurs maladroits. Et à
ce jeu je ne crois pas être le moins dégourdi. Tata Rose a compris que le jeune
papillon avait pris son envol d’apprenti- séducteur. L'amitié des rues se
transformait et tissait sa toile sur d'autres jeux plus en rapport avec notre
âge. On ne se roulait plus parterre, on montait en ville pour faire comme les
grands. Au passage, on s'arrêtait au magasin de ma mère. Elle nous offrait
souvent une pâtisserie chez Fille, le nec plus ultra des pâtissiers Algérois
puis nous grimpions jusqu'à la Grande Poste quand nous n’allions pas au cinéma
puis nous retournions à Bab El Oued, heureux de notre après-midi. Nous
retrouvions, alors, la cohue bon enfant de notre jardin Guillemin et mes
inquisitrices.
--D'où
tu viens, mon chéri ? Me lançait tante Cécile toujours aimable au
premier abord.
--On
est montés en ville !
--Et
pourquoi, tu es pas bien ici ?
A
quoi me servirait une réponse qui n'entraînerait que remontrances ?
--Tu
sembles oublier les attentats du FLN ; alors, pas la peine de nous faire
faire du mauvais sang.
J'aimais
bien le nous.
--Que
dieu nous en préserve ! Laisse-lui vivre sa jeunesse ! J'adore tata Rose ! Et c'était toujours la même
rengaine.
Mais
il était dit que mes tantes me mettraient les yeux tout au long de ma jeunesse.
Le lendemain de cette remontrance, la bande du jardin Guillemin décida de taper
un match sur le petit stade de hand-ball qui jouxtait le grand stade Marcel
Cerdan. Pour la première fois, nous allions jouer avec un vrai ballon de foot
reçu en cadeau d’anniversaire par le jeune frère de Victor. Dès que j’eus
touché le ballon, ma jambe vrilla et la partie s’acheva dans la confusion. Mon
genou avait doublé de volume et le retour ressembla à une retraite de Russie.
Roland, Victor et Jacky se relayèrent pour me prêter leurs épaules. Je ne pus
m’empêcher, tout au long de la route, de lancer des « tiassardo »
longs comme le bras à l’encontre de mes tantes que je rendis responsables de
mon calvaire. Je pus également, constater que ma mésaventure fut le
prétexte de fréquentes plaisanteries de
la bande d’ahuris qui se prétendait mes amis. Mais je savais que si le sort
avait été contraire, j’aurais été le premier à m’en amuser.
L’affolement
de mes tantes fut un véritable calvaire qu’il me fallut supporter. Pas assez la
douleur ! Les reproches succédèrent aux supplications.
--Tu vois, je te l’avais dit ! Il peut pas
rester tranquille !
--Il faut bien que jeunesse se passe !
--Oui mais pas à nos dépens !
Ça y
est, je redeviens le fils de mes tantes. En quoi, mon accident est leur
accident ? A les écouter se lamenter, j’aurais fait exprès de m’esquinter
le genou pour le simple plaisir de leur jouer un tour. De les embêter. De leur
nuire. De leur causer du mauvais sang ! Quel sans cœur, je suis ! Je
ne pense qu’à moi ! Mes pauvres mères de substitution sans défense, je
devrais me battre la coulpe jusqu’à la saint glin-glin afin qu’elles dorment
sur leurs deux oreilles. Devenir un enfant sage comme une image, jouer à la
marelle avec mes cousines, lire Madame de Sévigné. Oh mes tantes ! Je suis un garçon ! Qui se bat dans la
rue et qui monte aux arbres. Qui essaie de bécoter les filles dans les entrées
de maison. Qui ne se roule plus parterre mais qui se laisserait bien tenter.
Et
puis, vous n’êtes pas ma mère ! Ma mère, c’est votre sœur. Vous vous rappelez,
elle s’appelle Mélanie ! Alors lâchez-moi ou alors plaignez-moi mais par
pitié, comme dirait mon ami Roland, « lâchez-moi la grappe, c’est pas les
vendanges ! » La vérité, elles m’énervent avec leurs
jérémiades ! Au lieu de s’apitoyer sur mes déconvenues comme le feraient des
tantes normalement constituées. Au contraire, les sœurs de ma mère, fortement
imprégnées de leur éducation de la casbah judéo-arabe, mêlent le mauvais sang,
les reproches et les lamentations. Et par-dessus tout, les supplications envers
le bon dieu qui ne les écoute plus tant
elles doivent le fatiguer. Se retrancher derrière la fatalité orientale qui
bien souvent les a secondées, c’est la seule manière d’aborder mon cas qui
n’est pas à proprement parler une affaire d’état. Hélas, dès qu’elles ouvrent la bouche c’est pour en
rajouter une couche. Amman, qu’est-ce qu’elles aiment se lamenter ! En
Israël, le mur des lamentations deviendrait leur maison.
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