lundi 7 novembre 2016

ET LA VIE CONTINUE....de Hubert Zakine



RICHARD

Richard subissait sa vie. Il avait emménagé dans un petit deux pièces au bord de la mer. Un rez-de-chaussée pour accéder facilement à son logement. Il avait espéré retrouver non pas la totalité de ses mouvements mais du moins la faculté de se mouvoir sans une aide extérieure. Au bout de  huit mois de souffrance,  il avait dû se rendre à l’évidence, il ne serait plus qu’un handicapé. Solitaire parmi les hommes, il se préparait à une vie d’ermite entrecoupée par le passage d’une bonne fée que l’on nomme aide-ménagère. Il imaginait ses matinées au soleil de méditerranée et ses après-midi selon son humeur, tantôt sur l’ordinateur, tantôt assis à une terrasse toute proche de son domicile. Pas de promenades, de parties de cartes, de visites impromptues, de déplacement plus ou moins éloigné, pas de, plus de, pas de……………...

Il lui fallait s’adapter à cette nouvelle situation du handicap irréversible qui n’arrive pas seulement aux autres. Et cette solitude, triste compagne de ses jours sans joie à maudire ce corps désarticulé, ce cerveau qui avait résisté au naufrage, juste ce qu’il faut afin de conserver assez de raison pour faire face au déraisonnable,  ce cerveau qui conservait suffisamment  de faculté pour évaluer sa déchéance et ressasser son mal être. Ecrire jusqu’à épuisement, source tarie de l'encrier vide, bousculer la mémoire, se souvenir des doux instants ou regretter les jours heureux,  quand on se sentait le roi du monde. Ecrire et réinventer sa vie, s’accrocher à la moindre parcelle de joie de vivre, écrire pour ne pas sombrer dans le tourbillon de l’ennui.

Face à la mer, assis sur un banc, il suit du regard les baladins de fin d’après-midi. Malgré lui, il les envie. Beaux ou laids, ils marchent, se déplacent sans gêne, sans mesurer, toutefois, le bonheur d’aller et venir sur la grande promenade des gens heureux. Le bonheur d’hier apparaît, alors, dans toute sa cruauté quand le malheur frappe à sa porte. Mais rien n’y fait,  il est trop tard. Il lui faut se résoudre mais comment se résoudre au malheur perpétuel. A la solitude de l’âme, du corps et de l’esprit.

Pouvait-il deviner qu’une bonne étoile se pencherait sur son destin? Une femme blessée par la vie qui refusait l’amour et préférait se retrancher derrière le miroir aux alouettes. Pouvait-il imaginer qu’une jeunesse serait sensible à sa façon d’exprimer le  désespoir en se cachant derrière un humour embué. Avait-il seulement songé à ces âmes bouleversées qui vivent par procuration l’aventure d’un autrui entraperçu au détour d’une  fiction, de peur d’endurer une passion malheureuse? 


MARIE



Marie apprenait cet écrivain avant de découvrir l’homme dont les écrits ne la laissaient pas indifférente.  Sûr qu’un jour, elle le rencontrerait, ne serait-ce que professionnellement. Il lui arrivait souvent de travailler de concert avec un auteur insatisfait de son œuvre ou simplement pour refuser un manuscrit. Rêveuse comme toutes les romantiques, elle  inventait, au gré de ses lectures, le beau prince charmant ou le désespéré au regard si sombre qu’elle en était troublée, le papa abandonné par sa femme ou l’homme d’affaire entreprenant qu’elle n’avait jamais croisé. Alors, résignée, elle se réfugiait dans la peau de ses personnages et n’en sortait plus.
Pour la toute première fois, elle travaillait sur un auteur pour d’autres raisons que la littérature.Le matelassier de la casbah et 12 rue Randon lui racontaient les raisons de l’attachement paternel à ce pays de transhumance humaine qui l’avait envoûté après l’avoir attiré. Chaque mot judéo-arabe, chaque expression pataouéte lui racontait une péripétie de lumière qu’elle parvenait à imaginer pour avoir perçu la nostalgie dans la voix de son père. Hélas, la magie qui l’ensorcelait enfant, lui était devenue étrangère.  Le charme oriental qu’elle percevait, par  instant,  n’eût pas le temps  de peupler  son jeune esprit de futurs souvenirs. Pourtant, à présent que son père avait rejoint sa mère au grand jardin de l’éternité, elle recevait comme un don du ciel l’héritage précieux de ses années enfantines. Aussi, parcourait-elle,  avec avidité ces textes qui lui traçaient le chemin la conduisant vers l’absolu.
Elle appréciait  cet écrivain  qui maniait l’humour  avec ce zeste de nostalgie qui le rendait attachant. Elle adorait son style à la frontière du rire et des larmes, parfois impudique ou  se masquant derrière un personnage qu’elle croyait deviner en lui.
Elle dévora les deux ouvrages qui l’invitèrent au voyage du souvenir.
L’auteur parlait de sa terre natale comme d’une femme. Charnellement. Le cœur au bord de la route, il errait à la recherche du paradis perdu et des amitiés égarées.
Dans l’obscurité de ses nuits blanches, Marie tentait de pénétrer l’âme de l’écrivain. Quand elle y parvenait, elle s’arrêtait sur une phrase, une expression afin d’y trouver la raison de son engagement pour cet auteur qui parlait de son pays avec tant de chaleur. Quand la fatigue l’envahissait, elle posait son livre sur la table de chevet, fermait les yeux et, au bout d’un instant, le visage de son père lui apparaissait. Sa voix chaude et rocailleuse de son Auvergne natale lui racontait l’amour inconsidéré pour ce pays oriental que la guerre lui avait présenté. Rassurée, elle s’endormait paisiblement.


 




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