lundi 5 octobre 2015

extrait de LE COIFFEUR DE BAB EL OUED que j'écris actuellement


Allez, je descends en même temps que mes  frères qui s’arrêtent au jardin des tournants pour conter fleurette à quelques demoiselles de bonne famille avant de rentrer au Collège. Moi, je m’arrête chez Lollo où déjà, les amateurs de cartes y commencent un marathon qui va durer jusqu’au moment où l’estomac y crie famine. Amman, jamais y s’arrêtent. Et attention, même une strounga qui explose dans les parages, ça les empêche  pas de taper belote et rebelote!
Les jeunes, y préfèrent la Grande Brasserie surtout depuis l’arrivée d’un scopitone, dernier cri. Ba ba ba, dé !  Et en couleurs mon ami !
L’avenue de la Bouzaréah, elle s’animera qu’aux alentours de seize heures trente avec le rugissement des élèves qui envahiront les rues dès la sortie des classes. Les écoles primaires, bientôt elles vont chanter Gai, gai, l’écolier sous l’œil débonnaire des instituteurs qui sont aussi fatigués que les élèves. C’est la débandade organisée. J’adore me replonger dans les années enfantines de l’école de la rue Rochambeau. Ça fait ancien combattant mais  j’aime ça. Surtout quand je passe sous les fenêtres, entendre les élèves réciter en chœur les tables de multiplication au détour d’une rue ou le brouhaha d’une cour de récréation, c’est du bonheur à l’état pur.
--Je dois me faire vieux ! Je me dis à haute voix puis, fataliste comme sont les superstitieux,  je continue mon chemin. Le petit garçon, il est devenu un homme qui doit ouvrir son salon au lieu de rêver. Les clients y vont se donner le mot pour me presser comme un citron mais, moi, relax, doucement le matin et pas trop vite l’après-midi. Celui qu’il est pressé, y va chez sa mère. Qué, je vais me dépêcher parce que ces babaos y font la sieste jusqu’à une heure indue. (purée, ce langage ! D’où je le sors ?)
Vincent Miniéri c’est la classe ! Toujours tiré à huit épingles (c’est vrai pourquoi se contenter de quatre !), les cheveux un chouïa brillantinés, le costume prince de galles gris foncé, c’est notre Rudolph Valentino. Y veut passer entre mes mains expertes.
--Alors, viens maintenant, parce qu’après, c’est la fiesta bohémienne !
Il tombe la veste, il la plie comme si elle est en or et attention, celui qui la touche, il est mort. Je lui lave les cheveux. Purée, la brillantine ça glisse.  Je mets une tonne de shampoing. Pour la coupe, y me laisse faire. Y se contente de se contempler dans la glace. Y penche la tête pour juger. Zarmah, y voit mieux. Je suis content de moi. Rudolph y peut aller draguer en faisant l’avenue. Il est pas plus beau mais le tout c’est qu’il le croit. Y regarde pas les vitrines, y se regarde dans les vitrines. Sa mère, elle lui dit sans arrêt qu’il est le plus beau d’Alger, alors…..
Lui aussi, il est orphelin de père, alors sa mère elle a tout reporté son amour sur lui. C’est vrai qu’il est beau mais d’une beauté surannée (oh, purée, ce mot dé !) Disons sans être méchant parce que, être orphelin de père, ça rapproche, il est vieux jeu. Bon ça va, je vais pas parler de lui pendant une heure. Après, le lecteur y va croire que je suis une demoiselle, genre je marche  comme une danseuse, que je suis maniéré !  Bouh, le premier qui pense ça, je lui fais la tête comme un tchic-tchic à trois faces.
Ça y est. La ruée vers l’Or elle commence. Et attention, zarmah, y sont tous pressés. Moi, je les calcule pas. Je fais mon travail tranquille. Je les branche sur le foot. Y tombent dans le panneau comme des brèles mais au moins, je peux travailler à mon rythme. Si Alger y supprimait le football, sûr que les supporters y taperaient une manifestation. Le football et le sexe. Amman, le succès des journaux que je cache derrière le rideau pour les soustraire à la vue des enfants. (chof, le langage châtié des gens de Bab El Oued).  Celui qui a le plus de succès, c’est Paris-Hollywood. Capo y dévore à voix haute d’un article qui évoque l’ile du levant avec des femmes à poil. Zarmah, c’est des naturistes. La gobia, elle s’empare du salon. Alors, comme à chaque fois, il me reste qu’une seule solution, je parle de politique. Surtout que  l’olive que nous a tapée le gouvernement en rappelant Jacques Soustelle à Paris, elle a du mal à passer. Mais, la bonne humeur elle reprend vite ses droits et je finis mon dernier client avant d’aller taper une petite blanche.

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