Allez,
je descends en même temps que mes frères
qui s’arrêtent au jardin des tournants pour conter fleurette à quelques
demoiselles de bonne famille avant de rentrer au Collège. Moi, je m’arrête chez
Lollo où déjà, les amateurs de cartes y commencent un marathon qui va durer jusqu’au
moment où l’estomac y crie famine. Amman,
jamais y s’arrêtent. Et attention, même une strounga
qui explose dans les parages, ça les empêche
pas de taper belote et rebelote!
Les
jeunes, y préfèrent la Grande Brasserie surtout depuis l’arrivée d’un scopitone,
dernier cri. Ba ba ba, dé ! Et en
couleurs mon ami !
L’avenue
de la Bouzaréah, elle s’animera qu’aux alentours de seize heures trente avec le
rugissement des élèves qui envahiront les rues dès la sortie des classes. Les
écoles primaires, bientôt elles vont chanter Gai, gai, l’écolier sous l’œil débonnaire des instituteurs qui sont
aussi fatigués que les élèves. C’est la débandade organisée. J’adore me
replonger dans les années enfantines de l’école de la rue Rochambeau. Ça fait
ancien combattant mais j’aime ça.
Surtout quand je passe sous les fenêtres, entendre les élèves réciter en chœur
les tables de multiplication au détour d’une rue ou le brouhaha d’une cour de
récréation, c’est du bonheur à l’état pur.
--Je dois me
faire vieux !
Je me dis à haute voix puis, fataliste comme sont les superstitieux, je continue mon chemin. Le petit garçon, il
est devenu un homme qui doit ouvrir son salon au lieu de rêver. Les clients y
vont se donner le mot pour me presser comme un citron mais, moi, relax,
doucement le matin et pas trop vite l’après-midi. Celui qu’il est pressé, y va
chez sa mère. Qué, je vais me dépêcher parce que ces babaos y font la sieste
jusqu’à une heure indue. (purée, ce langage ! D’où je le sors ?)
Vincent
Miniéri c’est la classe ! Toujours tiré à huit épingles (c’est vrai
pourquoi se contenter de quatre !), les cheveux un chouïa brillantinés, le
costume prince de galles gris foncé, c’est notre Rudolph Valentino. Y veut
passer entre mes mains expertes.
--Alors, viens
maintenant, parce qu’après, c’est la fiesta bohémienne !
Il
tombe la veste, il la plie comme si elle est en or et attention, celui qui la
touche, il est mort. Je lui lave les cheveux. Purée, la brillantine ça glisse. Je mets une tonne de shampoing. Pour la coupe,
y me laisse faire. Y se contente de se contempler dans la glace. Y penche la
tête pour juger. Zarmah, y voit mieux. Je suis content de moi. Rudolph y peut
aller draguer en faisant l’avenue. Il est pas plus beau mais le tout c’est
qu’il le croit. Y regarde pas les vitrines, y se regarde dans les vitrines. Sa
mère, elle lui dit sans arrêt qu’il est le plus beau d’Alger, alors…..
Lui
aussi, il est orphelin de père, alors sa mère elle a tout reporté son amour sur
lui. C’est vrai qu’il est beau mais d’une beauté surannée (oh, purée, ce
mot dé !) Disons sans être méchant parce que, être orphelin de père, ça
rapproche, il est vieux jeu. Bon ça va, je vais pas parler de lui pendant une
heure. Après, le lecteur y va croire que je suis une demoiselle, genre je
marche comme une danseuse, que je suis
maniéré ! Bouh, le premier qui
pense ça, je lui fais la tête comme un tchic-tchic à trois faces.
Ça
y est. La ruée vers l’Or elle commence. Et attention, zarmah, y sont tous
pressés. Moi, je les calcule pas. Je fais mon travail tranquille. Je les
branche sur le foot. Y tombent dans le panneau comme des brèles mais au moins,
je peux travailler à mon rythme. Si Alger y supprimait le football, sûr que les
supporters y taperaient une manifestation. Le football et le sexe. Amman, le
succès des journaux que je cache derrière le rideau pour les soustraire à la
vue des enfants. (chof, le langage
châtié des gens de Bab El Oued). Celui
qui a le plus de succès, c’est Paris-Hollywood. Capo y dévore à voix haute
d’un article qui évoque l’ile du levant avec des femmes à poil. Zarmah, c’est des naturistes. La gobia, elle s’empare du salon. Alors,
comme à chaque fois, il me reste qu’une seule solution, je parle de politique.
Surtout que l’olive que nous a tapée le
gouvernement en rappelant Jacques Soustelle à Paris, elle a du mal à passer. Mais,
la bonne humeur elle reprend vite ses droits et je finis mon dernier client
avant d’aller taper une petite blanche.
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